La pique du jour
écoulée, il avait attenté de faire
avaliser par le pape, mais en vain : ce qui n’avait pas failli de l’aigrir
prou : aigreur dont il n’avait guère besoin, étant jà de sa composition
vinaigreux et vétilleux en diable, très imbu de son haut rang, rancuneux à
frémir, homme en bref à brouilleries, querelles et procès. À ce que j’avais
souvent imaginé, son caractère avait moulé de l’intérieur et sa face, et son
corps, car de son physique il était petit, estéquit, tordu, le visage maigre et
ridé, la lèvre déprisante, la langue acide, et l’œil fulgurant. Vêtu
perpétuellement de noir, il s’accoisait volontiers même en compagnie mais
l’oreille aux aguets, dardant de dextre et de senestre ses regards aigus. Quand
il n’était point en procès avec tel ou tel, il entrait en querelle avec sa
propre conscience, avec laquelle il avait interminablement débattu s’il devait
servir Henri III après sa réconciliation avec Henri IV, ou servir
Henri IV avant sa conversion. Au demeurant, c’était un homme de beaucoup
d’esprit, et fort docte, surtout en engéniérie, ayant consacré beaucoup de
temps et d’étude à l’art des sièges et des fortifications.
— Monsieur, me dit-il roidement, quand il eut consenti
enfin à me recevoir après m’avoir contraint une grosse heure à faire
antichambre, n’était l’instante prière de Sa Majesté, je ne vous eusse pas
reçu pour la raison que votre père est un huguenot opiniâtre et que vous-même
êtes un huguenot à peine repeint aux couleurs catholiques.
— Monseigneur, dis-je avec un salut des plus brefs et
non sans quelque véhémence, mon père a servi fort vaillamment, tout huguenot
qu’il est, Henri II et Charles IX sur les champs de bataille. Il n’a
jamais consenti à prendre les armes contre Henri III, maugré toutes les
sollicitations des chefs réformés. Et enfin, au lendemain de l’avènement
d’Henri IV, il a, en dépit de son âge, servi de son bras et de ses
deniers, libéralement, le légitime souverain de ce royaume. Force vous est donc
de considérer le baron de Mespech comme entrant dans la catégorie des
« huguenots non séditieux » pour lesquels, dans votre fameux rapport
de 1572, vous n’avez prévu qu’une fort léniente sanction : La saisie d’un
sixième de leurs biens. Or, Monseigneur, c’est beaucoup plus qu’un sixième de ceux-là
que mon père a de soi donné à Henri Quatrième pour soutenir ses armes contre la
Ligue et l’Espagnol. Quant aux quatre enfants vivants du baron de Mespech, et
de ma mère née Isabelle de Caumont, ils sont tous, à ce jour, moi compris,
convertis au catholicisme. Et j’ose dire, Monseigneur, avec tout le respect que
je vous dois, qu’il n’y a pas de raisons de contester davantage que celle du
roi la sincérité de leur conversion.
Le duc de Nevers ouït ce discours la face imperscrutable et
l’œil comme dardé dans le mien. Mais celui-ci, dès que j’eus fini, me parut
s’adoucir, sa voix, dès qu’il parla, perdant un petit de son premier vinaigre.
— Monsieur, dit-il, votre discours est tout à la fois
habile et honnête, et vous y employez le mot « raison » auquel je ne
laisse pas que d’être sensible, tâchant toujours d’éclairer mes jugements par
sa lumière. Toutefois, Henri Troisième, à ce qu’il m’a dit, vous tenait pour un
gentilhomme qui, pour le servir, avait consenti à « caler la voile »
et « aller à contrainte ».
— Mon pauvre bien-aimé maître, dis-je avec un sourire,
les a jugés ainsi, parce qu’il était lui-même excessivement dévot, comme bien
vous savez, Monseigneur. Il pèlerinait, il processionnait, il se flagellait, il
faisait retraite dans les couvents. Mais pour moi qui étais huguenot des plus
tièdes, comment serais-je devenu, en me convertissant, catholique fervent,
alors même que ma famille et moi-même avions été cruellement persécutés par les
prêtres ? Et enfin, Monseigneur, puisque vous êtes sensible à la raison,
peux-je vous demander si c’est raison de vouloir si exactement sonder ma foi,
alors qu’en votre récente ambassade à Rome, vous avez, à juste titre, interdit
aux trois évêques qui vous accompagnaient de se soumettre à l’examen du
cardinal de l’inquisition, comme le Saint Père vous l’avait ordonné.
— Il y a une grande différence, dit le duc de Nevers,
la crête haute et l’œil jetant des éclairs. Déférer trois évêques français
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