La pique du jour
que te voilà céans,
t’ayant ordonné de demeurer en Paris, afin que de garder les yeux et les
oreilles ouverts quant aux brouilleries qu’on m’y pourrait faire en mon
absence.
Je contai alors au roi ma râtelée touchant mon entretien
avec M me de Guise et encore que je susse que le roi aimait
que ses serviteurs fussent brefs et prompts en leurs rapports, j’enrichis mon récit
quasiment de tous les détails que le lecteur vient de lire, n’ignorant pas que,
s’agissant d’une femme (lui qui en était si raffolé) et au surplus de sa bonne
et bien-aimée cousine, son oreille serait patiente. Quand j’eus fini, je lui
tendis la lettre dont M me de Guise m’avait chargé pour son
fils, tenant pour assuré que si elle ne l’avait ni close ni scellée, c’est
qu’elle désirait que le roi y jetât les yeux avant que d’autoriser ma mission.
— Barbu, dit le roi en souriant, dès qu’il l’eut
parcourue, c’est pitié que nos princes n’éduquent pas mieux leurs filles, car
c’est à peine si je peux déchiffrer ce gribouillis, tant l’orthographe est
fautive et l’écriture informe. Mais ma bonne cousine n’est point sotte ;
et elle s’entend mieux aux affaires que son fils.
— Sire, dis-je béant, plaise à vous de me dire ce qui
vous en fait juger ?
— De prime, l’excellent choix qu’elle a fait de son
ambassadeur. Ensuite, le fait qu’elle a appris que les manants et habitants de
Troyes en Champagne ont chassé son fils et les ligueux hors les murs et se sont
à moi donnés.
— Mais, Sire, elle ne m’en a pas touché mot ! Se
peut qu’elle ne le savait point !
— Elle le savait. Je le lui avais mandé par Vie.
À quoi je fus si interdit d’avoir été emberlucoqué par la
petite duchesse que je restai coi.
— Pends-toi, Barbu ! dit le roi en riant à gueule
bec. Tu as appris ce jour que la plus simple a ses petites ruses…
— Sire, dis-je, m’étant repris, je n’en garde
assurément aucune mauvaise dent à M me de Guise de s’être
tue touchant Troyes, pour la raison qu’elle s’est sans doute apensée qu’en
m’annonçant la reddition de la ville, elle affaiblirait prou sa cause et,
partant, mon appétit à la servir, mais Sire, si vous jugez que la mission
qu’elle m’a confiée n’a plus lieu d’être, comme je ne l’ai acceptée que pour
vous être utile, et sous réserve de votre agrément, je me désisterai tout de
gob.
— N’en fais rien, Barbu, dit le roi avec gravité. À la
guerre, on n’est jamais assuré de vaincre. Et même si je bats Mayenne et
Mansfeld, et prends Laon, et si les autres villes de Picardie se donnent à moi,
il n’est point certain que Reims les imite, surtout tant que le capitaine de
Saint-Paul y supplantera le duc de Guise. Il est donc bon que tu ailles
prendre langue avec le duc et travailler à son ralliement, lequel, même s’il ne
m’apporte pas Reims, sera d’immense conséquence, et en France, et à Rome, où le
pape se fait prou tirer l’oreille pour m’absoudre de mon excommunication et
reconnaître ma conversion.
— Sire, dis-je, tout flambeux que Sa Majesté fit
en définitive tant de cas de ma mission, je pars demain.
— Après-demain, dit le roi. Car il te faut de prime
quérir de ton beau-frère Quéribus qu’il t’accompagne pour ce qu’il est parent
du Guise et possède une tant forte et belle escorte. Et ayant fait, que tu
pries le duc de Nevers de te dire ce qu’il en est du capitaine Saint-Paul, car
bien le connaît-il et bien peu l’aime…
CHAPITRE II
Encore que j’aie jà cité son nom en ces mémoires, Louis de Gonzague,
duc de Nevers y apparaît pour la première fois en sa corporelle enveloppe.
Certes, je l’avais souvent encontré à la Cour, où il taillait du temps d’Henri
Troisième un personnage tout ensemble considérable et hors du commun, fort
catholique sans être ligueux, fort hostile aux huguenots sans vouloir les
massacrer, et fort révérencieux du pape sans cependant lui vouloir sacrifier
les droits de l’Église gallicane.
Il était italien par son père, le duc de Mantoue, mais
devint duc de Nevers par son mariage avec Henriette de Clèves qui avait hérité
dudit duché. Dès lors, il vécut en France et à la Cour, dans l’entourage de
Catherine de Médicis et se considérant à la parfin comme français, il avait
servi loyalement Henri III et Henri IV, celui-ci depuis sa
conversion, laquelle en novembre de l’année
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