La pique du jour
concéderez cependant, Marquis, que si le duc de Guise
apporte au roi, outre son nom, Reims et la Champagne, il y faudra quelques
compensations.
— Assurément, mais que le jeune duc garde bien de faire
des demandes aussi démesurées que celles de son oncle Mayenne, lequel n’a pas
demandé moins pour se soumettre au roi que la lieutenance générale du
royaume ! Essuyant aussitôt là-dessus un refus des plus nets !
Cependant, Madame, la négociation se poursuit et si l’oncle, qui a une armée,
se soumet, la soumission du neveu perdra quelque peu de son prix aux yeux du
roi.
— C’est vrai encore, dit la duchesse, mais toutefois,
Marquis, vous voudrez bien admettre, touchant lesdites compensations, que mon
pauvre Charles ne peut aller nu dans le royaume.
— Madame, dis-je en souriant, je le concède un million
de fois. Il faut bien vêtir le duc de Guise, mais tout le point est
d’acertainer à quelle vêture il appète…
— Je ne sais, dit la duchesse qui me parut le savoir
fort bien, le duc vous le dira lui-même, si vous me faites la grâce. Monsieur,
de l’aller visiter à Reims, pour peu que mon cousin le roi le tienne pour
agréable.
Je fus tant béant de la brusquerie et l’ingénuité de cette
demande que je fus pris sans vert et m’accoisai.
— Madame, dis-je, quand j’eus repris ma voix, Reims
n’est pas à deux lieues de Paris, mais en plein pays ligueux, infesté au
surplus de soldats espagnols qui des proches Flandres y vont et viennent comme
chez eux ; ce n’est donc pas une petite affaire que d’atteindre la bonne
ville et, une fois ses murs atteints, d’y pénétrer et approcher le duc
de Guise, le capitaine de Saint-Paul étant si haut à la main et se tenant
pour le seul maître de la ville.
— Monsieur, dit la duchesse avec une moue des plus
charmantes, je connais trop votre vaillance en vos missions secrètes pour
douter que vous acceptiez celle-ci, s’agissant de servir et le roi et moi-même.
À moins, ajouta-t-elle en souriant et en me tendant derechef sa main menue,
qu’on m’ait menti en me disant que vous êtes fait de telle étoffe que les
dames, pour peu qu’elles vous prient, sont toutes-puissantes sur votre cœur.
Voilà qui était cousu d’un gros fil, et qui pourtant ne
laissa pas de me flatter. Lecteur, tu le sais comme moi : du fait de
l’empire que la beauté de ce doux sexe a sur nous, tant plus ses artifices sont
évidents et tant plus ils nous prennent.
— Madame, dis-je après avoir poutouné sa main, mais
avec plus de réserve que devant, le don qu’elle m’en faisait étant sans aucune
mesure avec les inouïs périls où elle m’allait jeter, assurément on ne vous a
pas menti. Souffrez toutefois qu’avant que d’accepter la mission dont vous me
voulez charger, je consulte le roi mon maître sur son opportunité.
— Mais le roi, dit la duchesse avec une petite moue (se
trouvant quelque peu dépitée de n’être pas tout de gob obéie), se trouve
à’steure assiéger Laon qui, étant ligueuse, se refuse encore à lui.
— Laon, dis-je, n’est point si éloigné de Reims que je
ne puisse, Sa Majesté étant consentante, porter à Monsieur votre fils une
lettre de votre main qui puisse m’accréditer auprès de sa personne.
— La voici, dit-elle, en la sortant de son giron et en
me la mettant toute tiède entre les mains. Pour que Monsieur mon fils ne doute
point qu’elle soit de moi, je l’ai écrite de ma propre plume et de ma propre
orthographiature, laquelle est si singulière que nul ne saurait l’imiter,
s’encontrant plus fautive encore, selon mon défunt mari, que celle de Catherine
de Médicis.
— Hé, quoi, Madame la Duchesse ! dis-je béant,
vous aviez donc anticipé sur ma décision !
— Marquis, dit-elle en souriant et en se levant pour me
signifier gracieusement de mon congé, je n’ignore pas qu’à la Cour, on me tient
pour simplette, pour ce que je parle tout dret, sans feintise ni déguisure.
Mais je ne suis point si sotte que je ne sache juger les hommes, et je les
juge, non à leurs paroles, mais à leurs yeux. Les vôtres, Marquis, sont
à’steure tendres et à’steure fripons, mais toujours francs.
Ce disant et pour ajouter encore aux caresses dont elle
m’accablait, la petite duchesse condescendit à mettre son bras familièrement
dans le mien et à m’accompagner jusqu’à la porte de son cabinet.
Je fis le voyage de Paris à Laon avec M. de Rosny [4] , ce
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