La Poussière Des Corons
d’esprit, en dehors
du monde réel, refusant de vivre dans un univers où Charles n’était plus. Il me
fallut près de deux ans pour l’admettre. Admettre que je restais seule, et
accepter de vivre quand même. Et seulement alors, ce fut plus facile.
Je ne dis pas que je fus consolée, que tout alla mieux. Non,
simplement, je cessai de me révolter et de me faire mal inutilement. J’avais
enfin compris que je n’y pouvais rien changer. Alors, j’ai essayé de reprendre
pied dans la réalité, de recommencer à vivre sans Charles. Mais je savais que
rien, jamais, ne serait plus pareil. Charles me manquerait toujours d’une
manière insupportable. Privée de sa présence, de la chaude atmosphère que son
amour créait autour de moi, j’aurais continuellement froid. Je le savais. Je
savais aussi que mon existence sans lui ne serait plus désormais qu’une
lamentable survie et une attente incessante du jour où j’irais le rejoindre. Je
le savais et je l’acceptai. Alors Seulement je pus sortir de mon enfer.
*
Je me remis à la couture, que j’avais abandonnée. Cela, en
même temps, m’occupa et me fit du bien. Je recommençai à m’intéresser à ce qui
m’entourait, ce que je n’avais plus fait depuis longtemps parce que tout me
semblait sans importance.
Jean fut heureux de me voir revenir à la vie. Il ne me le
dit pas, mais je le compris. Je m’apercevais que lui me restait ; il était
là, il m’aimait. C’était mon enfant, et il représentait toute ma vie.
C’était un bon fils. Il s’était occupé de tout, après la
mort de Charles. J’avais reçu une avalanche de papiers, et, trop perdue dans ma
détresse, je n’avais même pas cherché à les comprendre. Jean avait répondu
partout, et m’avait donné des explications que je n’avais pas écoutées. C’était
principalement pour la retraite. Charles était décédé six mois avant sa
retraite normale, et il y avait eu des tas de feuilles à remplir. Je m’étais
reposée sur Jean, et il avait tout fait.
Avec Marcelle, ils ne savaient qu’inventer pour me faire
plaisir. Un jour, ils m’apportèrent un petit chien. C’était, dans les mains de
Marcelle, une petite boule de poils fauve et hirsute.
— C’est pour toi, maman, me dit Jean. En veux-tu ?
Surprise et en même temps réticente, je dis :
— Mais… pourquoi ? D’où vient ce chien ?
— Nous l’avons trouvé hier dans notre jardin, expliqua
Marcelle, devant la maison. Il avait été abandonné. J’ai eu pitié de lui, je l’ai
ramassé. Et puis, nous avons pensé à te le donner, afin que tu sois moins seule.
Tu auras un petit compagnon. Le veux-tu ?
Je n’ai pas dit oui immédiatement. J’ai vu, d’abord, les
marques des griffes sur les portes, les traces de boue sur le sol, les poils
partout. Voyant mon hésitation, Marcelle me le plaça dans les mains. Jusque-là,
il dormait. Dans mes bras, il a ouvert un œil, et, avec une adorable petite
langue rose, s’est mis à me lécher. Il était irrésistible.
— Il t’a adoptée, dit Jean. Prends-le, ne refuse
pas. Il te tiendra compagnie.
Je l’ai regardé, qui me léchait avec application, et je l’ai
aimé tout de suite. J’ai posé ma joue contre sa petite tête ronde et douce, et
j’ai dit :
— D’accord, je le garde. Merci à vous deux.
Et je ne l’ai pas regretté. Il a été, dès le début, mon
compagnon de tous les instants. Je le baptisai Pompon. Il me suivait partout ;
le soir, il se blottissait sur mes genoux et s’y endormait, tandis que je
lisais ou cousais. Il me devint indispensable. Jean et Marcelle avaient eu
raison : avec lui, je n’étais plus seule. Il y avait un être vivant qui
était près de moi, qui avait besoin de moi et qui m’aimait sans conditions. Sans
le savoir, ce petit chien m’a aidée, lui aussi, à revivre.
Un nouveau printemps fut là, un autre printemps que Charles
ne verrait pas. Je regardais la nature s’éveiller une fois de plus, selon le
même rite immuable. Et j’éprouvais comme une sorte d’étonnement de voir qu’autour
de moi rien n’était changé, alors que la mort de Charles avait détruit ma vie.
Il faisait beau. Marcelle m’avait invitée à aller passer la
journée avec elle. Je me mis en route en fin de matinée, prenant le raccourci à
travers champs. Pompon, autour de moi, folâtrait et gambadait comme un petit
fou, aboyant et poursuivant les papillons. Son exubérance m’amusait. J’aurais
bien aimé
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