La Poussière Des Corons
semblait étouffer. J’avais
fermé les yeux, luttant avec lui. J’écoutais sa respiration qui, parfois, semblait
s’arrêter, puis reprenait, à chaque fois plus faiblement.
Et puis, il y eut le moment où elle s’arrêta. Et il y eut le
silence, un silence atroce, horrible, épais, palpable et menaçant, un silence
qui, par son intensité, me disait ce que je redoutais, ce que je refusais de tout
mon être.
J’entendis un cri aigu, interminable, et je me rendis compte
que c’était moi qui hurlais. Je me jetai sur lui, je suppliai :
— Charles ! NON ! NON !
J’eus vaguement conscience que Marcelle et Jean entraient, affolés,
dans la chambre. Contre Charles, je sanglotais, à demi folle de douleur et de
désespoir. Il était parti, il m’avait laissée, et je pleurais sur tous les
jours de ma vie où, dorénavant, je serais seule.
6
TOUT se confond ensuite dans mon esprit, tout n’est plus que
chaos. Je ne peux pas raconter les heures, les jours qui suivirent. D’abord
parce que cela m’est cruel de me les rappeler, ensuite parce qu’il me serait
impossible de dire clairement ce que je fis. J’étais dans un brouillard, à la
fois anéantie de stupeur et écrasée de douleur. Je vivais et je ne vivais pas. J’agissais
mécaniquement, je marchais et parlais, et en même temps j’étais en dehors du
monde où continuaient de vivre les autres. L’acuité de ma souffrance m’isolait,
dans un univers de ténèbres et de désespoir. Une plainte incessante hurlait en
moi, avec tant d’intensité que je m’étonnais qu’elle ne s’entendît pas. J’avais
atrocement mal, et je savais qu’à une telle détresse il n’existait aucun
apaisement.
Quelques images me sont restées, irréelles et imprécises. Je
revois les gens du coron défiler devant le lit de mort de Charles, et je me
souviens que certains de ses compagnons, pourtant habitués à être durs, pleuraient,
alors que dans leurs regards se lisaient incompréhension et incrédulité.
Je me revois, sanglotant éperdument dans les bras de Georges
et d’Anna qui, hébétés, désemparés, ne parvenaient pas à réaliser, eux non plus.
Ils avaient été prévenus par un télégramme que leur avait envoyé Jean. Le choc
avait été rude.
La douleur de Georges a été profonde, violente. Lorsqu’il a
su ce qui s’était passé, il a dit, avec rancune :
— C’est la mine, encore, qui m’a pris le dernier
frère qui me restait ! Indirectement, peut-être, mais elle est responsable !
Juliette, prévenue aussi, accourut et pleura avec moi. Et je
comprenais qu’elle pleurait à la fois sur Charles et sur moi, car elle n’ignorait
pas ce qu’il avait fait pour moi, ce qu’il représentait dans ma vie, et elle
savait toute l’étendue de mon chagrin.
Je revois, enfin, comme une horrible image fixée dans mon esprit,
le cercueil qui descend dans la terre, et il m’était impossible d’admettre que
c’était de Charles qu’il s’agissait. Je refusais, de toutes mes forces, l’atroce
réalité.
Après l’enterrement, je me suis retrouvée dans ma maison, et
je ne la reconnaissais pas. Ce n’était plus le chaud foyer où j’avais vécu avec
Charles ; maintenant je m’y sentais étrangère. Jean et Marcelle s’occupèrent
de tout. Moi, je ne pouvais rien entreprendre. Hébétée, amorphe, l’esprit vide,
j’étais complètement brisée. J’étais au-delà du chagrin.
Ensuite, je me retrouvai seule. Tous les autres s’en
allèrent, vers leur vie qui continuait et que rien n’avait détruit. Anna et
Georges, et Juliette, et Catherine et Robert ; Jean et Marcelle me
proposèrent de rester, mais je refusai : à quoi bon ?… Il faudrait
bien que je m’habitue à être seule ! Ils me proposèrent alors d’aller chez
eux, pendant quelque temps, mais, là aussi, je refusai. Je ne voulais pas
quitter la maison où j’avais été heureuse avec Charles. Ici, je le retrouvais
partout, tous nos souvenirs me parlaient de lui, il était présent dans chaque
pièce de la maison. « Je ne te quitterai pas, je serai toujours près de
toi, même si tu ne le vois pas… »
Alors ils partirent, inquiets malgré tout, me promettant de
revenir dès le lendemain, et tous les autres jours. Et je suis restée seule. Avec
la sensation d’évoluer dans un univers hostile et irréel, j’ai fermé la maison,
je me suis déshabillée, je me suis couchée. Dans le grand lit où nous avions si
longtemps été deux, la réalité
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