La Prison d'Édimbourg
n’étaient qu’accessoires ; sur son sein erraient des navires et des esquifs dont les blanches voiles et les pavillons flottans donnaient la vie à tout le tableau.
On pense que le duc d’Argyle connaissait ce point de vue, mais il est toujours nouveau pour un homme de génie. En s’arrêtant pour contempler ce paysage inimitable avec cet enthousiasme qu’il fait naître nécessairement dans le cœur de tout ami de la nature, il reporta naturellement ses pensées sur ses domaines d’Inverrary, plus imposans, et qui ne sont guère moins beaux peut-être. – Voilà une belle vue, dit-il à Jeanie, curieux peut-être de connaître ses sensations ; nous n’avons rien de semblable en Écosse.
– Certainement, dit Jeanie, voilà de bons pâturages pour les vaches, et ils ont ici une belle race de bétail ; mais j’aime autant les roches d’Arthur’s-Seat, avec la mer qui s’étend au-delà, que tous ces arbres-là.
Le duc sourit à cette réponse, qui se sentait de l’esprit national de Jeanie et de sa profession. Il donna ordre à son cocher de l’attendre en cet endroit ; et, traversant un sentier qui paraissait peu fréquenté, il conduisit Jeanie, par plusieurs détours, à une petite porte pratiquée dans un mur de brique fort élevé. Elle était fermée, mais le duc ayant frappé légèrement, un homme qui l’attendait regarda par une petite grille en fer ajustée dans la porte pour voir ceux qui s’y présentaient, et ayant reconnu le duc d’Argyle, il l’ouvrit aussitôt, et la referma soigneusement dès qu’il fut entré avec sa compagne. Tout cela se fit avec une grande promptitude, et l’homme qui avait ouvert et fermé la porte disparut si soudainement, que Jeanie eut à peine le temps de jeter un coup d’œil sur lui.
Ils se trouvaient alors au bout d’une allée longue et étroite, couverte d’un vert gazon, qui semblait sous leurs pieds un tapis de velours. De grands ormes, entrelaçant leurs rameaux, ne laissaient point pénétrer les rayons du soleil. La solennité du demi-jour qui régnait sous ces arceaux de feuillage, et les troncs de ces arbres antiques, qu’on aurait pris pour autant de colonnes rendaient cette allée semblable à l’aile latérale d’une ancienne cathédrale gothique.
CHAPITRE XXXVII.
« ……… J’embrasse vos genoux ;
» Voyez ces pleurs, ces mains qui s’élèvent vers vous !
» À-Dieu seul jusqu’ici j’adressai ma prière ;
» Mais vous êtes de Dieu l’image sur la terre,
» Soyez donc, comme lui, bon et compatissant, »
Le Frère sanguinaire.
Quoique encouragée par les bontés de son noble compatriote, ce ne fut pas sans un sentiment qui approchait de la terreur que Jeanie se vit seule, dans un endroit en apparence si solitaire, avec un homme d’un rang si élevé. Qu’il lui eût été permis de voir le duc chez lui, d’en obtenir une audience particulière, c’était déjà une circonstance bien marquante dans les annales d’une vie aussi simple que la sienne ; mais se trouver sa compagne de voyage dans sa propre voiture, et ensuite seule avec lui dans un lieu si retiré ;… il y avait là quelque chose d’inexplicable et d’imposant. Une héroïne de roman aurait soupçonné et redouté le pouvoir de ses charmes ; mais Jeanie avait trop de bon sens pour qu’une pareille idée se présentât à son esprit ; elle n’en désirait pourtant pas moins ardemment savoir où elle était et à qui elle allait être présentée.
Elle remarqua que les vêtemens du duc étaient élégans et convenables à son rang, car il n’était pas encore d’usage que les hommes de qualité s’habillassent comme leurs cochers et leurs valets de chambre, mais cependant ils étaient plus simples que ceux qu’elle lui avait vus dans son hôtel, et il n’avait aucune des décorations qu’elle avait remarquées sur ses habits, lors de sa première entrevue avec lui. En un mot, il était mis aussi modestement que pouvait l’être à Londres, le matin, un homme de bon ton. Cette circonstance contribua à bannir de l’esprit de Jeanie l’idée qu’elle commençait à avoir que le duc avait peut-être dessein de lui faire plaider sa cause devant la reine elle-même. Car certainement, pensa-t-elle, il aurait mis sa belle étoile et sa jarretière, s’il avait l’intention de paraître en présence de Sa Majesté ; et, après tout, ce jardin ressemble plutôt au château d’un seigneur qu’au palais d’un
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