La Prison d'Édimbourg
de raison pour se livrer, dominait en elle quand elle gardait le silence, mais faisait place au sourire le plus agréable dès qu’elle parlait.
Quand le duc fut à douze ou quinze pas de ces dames, il fit signe à Jeanie de s’arrêter, et s’avançant vers elles avec la grâce qui lui était naturelle, il fit un salut respectueux à la première, qui le lui rendit d’un air de dignité.
– J’espère, dit-elle avec un sourire affable, que je vois le duc d’Argyle en aussi bonne santé que ses amis, ici et ailleurs, peuvent le souhaiter, quoiqu’il ait été bien étranger à la cour depuis quelque temps ?
Le duc répondit qu’il s’était fort bien porté, mais que la nécessité d’assister aux séances de la chambre des lords, et un voyage qu’il avait fait depuis en Écosse, l’avaient forcé d’être moins assidu qu’il l’aurait désiré aux levers et aux drawing-rooms {110} .
– Quand Votre Grâce pourra trouver quelques instans pour des devoirs si frivoles, reprit la reine, vous savez les titres que vous avez pour être bien reçu. J’espère que la promptitude avec laquelle je me suis rendue aux désirs que vous avez exprimés hier à lady Suffolk sera pour vous une preuve suffisante qu’il existe au moins une personne de la famille royale qui n’a pas oublié d’anciens et important services pour s’offenser de ce qui pourrait paraître un peu de négligence.
Tout cela fut dit d’un air de bonne humeur et d’un ton qui annonçait le désir de la conciliation.
Le duc répondit qu’il se regarderait comme le plus malheureux des hommes, si on le supposait capable de négliger ses devoirs dans des circonstances où il pourrait penser qu’ils fussent agréables ; que l’honneur que Sa Majesté daignait lui accorder en ce moment le pénétrait de reconnaissance, et qu’il espérait qu’elle reconnaîtrait qu’il ne s’était permis de l’interrompre que pour un objet qui pouvait avoir quelque importance pour les intérêts de Sa Majesté.
– Vous ne pouvez m’obliger davantage, duc, répliqua la reine, qu’en m’accordant le secours de vos lumières et de votre expérience pour tout ce qui concerne le service du roi. Votre Grâce n’ignore pas que je ne suis que le canal par lequel l’affaire peut être soumise à la sagesse supérieure de Sa Majesté ; mais, si elle vous concerne personnellement, j’ose croire qu’elle ne perdra rien à lui être présentée par moi.
– Je sens toute la force des obligations que j’ai à Votre Majesté, dit le duc. Il ne s’agit pourtant pas d’une affaire qui me soit personnelle, mais d’un objet qui intéresse le roi comme ami de la justice et de la clémence. C’est une occasion qui peut servir à calmer la malheureuse irritation qui existe en ce moment parmi les fidèles sujets d’Écosse.
Il se trouvait dans ce peu de mots deux choses qui déplurent à la reine. La première, c’est qu’elle écartait l’idée flatteuse qu’elle avait conçue que le duc d’Argyle désirait employer son entremise pour faire sa paix avec le gouvernement, et obtenir sa réintégration dans les emplois dont il avait été privé ; la seconde, c’est qu’elle était mécontente de l’entendre parler du soulèvement d’Édimbourg comme d’une irritation qu’il fallait calmer, tandis qu’elle le considérait comme une révolte qu’il convenait de punir.
D’après le sentiment qui l’agitait en ce moment, elle répondit avec assez de vivacité : – Si le roi a de bons sujets en Angleterre, milord, il doit en rendre grâce à Dieu et aux lois ; mais, s’il a des sujets en Écosse, je crois qu’il n’en est redevable qu’à Dieu et à son épée.
Le duc, tout courtisan qu’il était, sentit le sang écossais lui monter au visage. La reine vit qu’elle avait été trop loin, et sans changer de ton ni de physionomie, elle ajouta, comme si c’eût été la suite de la même phrase : – Et à l’épée des vrais Écossais, amis de la maison de Brunswick, surtout à celle de Sa Grâce le duc d’Argyle.
– Mon épée, comme celle de mes pères, madame, a toujours été aux ordres de mon roi légitime et de ma patrie. Je crois qu’il est impossible de séparer leurs droits et leurs intérêts véritables. Mais il ne s’agit en ce moment que d’une affaire particulière, d’une affaire qui concerne un individu obscur.
– Quelle est cette affaire, milord ? sachons d’abord de quoi nous parlons, afin
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