La Prison d'Édimbourg
pour se croire, à son âge et avec ses propres lumières, assez fort pour conduire sa barque sans prendre le bon David pour pilote ; mais il se contenta d’exprimer le regret que quelque événement pût le séparer d’un ami si ancien et si éprouvé.
– Mais comment l’empêcher, jeune homme ? comment empêcher notre séparation ? Vous ne pourriez me le dire. Il faut que vous l’appreniez de quelque autre, du duc d’Argyle ou de moi, Reuben, ajouta-t-il en faisant la grimace qui lui tenait lieu de sourire ; c’est une bonne chose que d’avoir des amis dans ce monde, – à plus forte raison dans l’autre.
David, dont la piété n’était pas toujours raisonnable, mais sincère et fervente, tourna les yeux vers le ciel avec respect, et garda le silence. M. Butler fit connaître qu’il recevrait avec plaisir l’avis de son ami sur un sujet si important, et David reprit la parole :
– Que pensez-vous, maintenant, Reuben, d’une église, – une église régulière sous le gouvernement actuel ? – Si on vous en offrait une, seriez-vous libre de l’accepter, et avec quelles réserves ? Je ne vous le demande que pour vous le demander ?
– Si l’on me faisait une telle proposition, répondit Reuben j’examinerais d’abord s’il est vraisemblable que je puisse être utile au troupeau qui me serait confié ; car, sous tout autre point de vue, vous devez bien juger qu’elle ne pourrait que m’être très avantageuse.
– Bien répondu, Reuben, très bien répondu : votre conscience doit être satisfaite avant tout ; car comment enseignerait-il les autres, celui qui aurait si mal appris les saintes Écritures, que, par l’amour du lucre et d’un avancement terrestre, c’est-à-dire d’une manse, des émolumens et des rétributions en nature, il se laisserait aller à accepter ce qui ne lui appartiendrait pas dans le sens spirituel, – ou qui ferait de son Église un cheval de relai pour arriver à son salaire ? Mais j’attends de vous quelque chose de mieux, et surtout souvenez-vous de ne pas vous en rapporter à votre seul jugement, ce qui est une source de tristes erreurs, d’apostasie et de défections à droite comme à gauche. Si une semblable épreuve vous était imposée, ô Reuben, vous qui êtes jeune, quoique doué des langues charnelles, comme celle qu’on parle à Rome, ville aujourd’hui le siége de l’abomination, et celle des Grecs à qui l’Évangile semblait une folie, – ceux qui vous veulent du bien peuvent vous exhorter à prendre conseil de ces chrétiens prudens, résolus et aguerris, qui ont su ce que c’était que de se cacher dans des fondrières, des marais et des cavernes, ou de risquer de perdre la tête ? pour conserver l’intégrité du cœur.
Butler répondit que certainement, puisqu’il avait un ami, et il l’espérait avoir dans David Deans lui-même, qui avait vu toutes les vicissitudes du siècle précédent, il serait bien coupable de ne pas profiter de son expérience et de ses bons conseils.
– Assez, – assez, Reuben reprit David Deans triomphant au fond du cœur : si vous étiez dans la position dont je parlais, certes je croirais de mon devoir de pénétrer jusqu’à la racine de la chose, et de vous dévoiler les apostumes et les ulcères, les plaies et la lèpre du temps où nous vivons ; je le ferais à haute voix et sans rien taire.
David Deans était dans son élément. Il commença son examen des doctrines et des croyances de l’église chrétienne depuis les Culdes {126} eux-mêmes ; passa de là à John Knox, de John Knox aux sectaires récusans du temps de Jacques VI, – Bruce, Black Blair, Livingstone ; – et de là aux courtes et enfin victorieuses époques de la splendeur du presbytérianisme, jusqu’à son oppression par les Indépendans anglais. Vinrent ensuite les temps lugubres de la prélature, des indulgences au nombre de sept, avec leurs obscurités ; et leur vrai sens, jusqu’à ce que Deans arrivât au règne du roi Jacques, dans lequel il avait été lui-même, croyait-il, un acteur et un martyr nullement inconnu : alors Butler fut condamné à entendre l’édition la plus détaillée et la plus longuement commentée de ce qu’il avait tant de fois entendu auparavant, – savoir : l’histoire de la réclusion de David Deans dans la Tolbooth de Canongate, et la cause d’icelle, etc.
Nous serions injustes envers notre ami David, si nous omettions un récit qu’il regardait comme
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