La Prison d'Édimbourg
simplicité, puisque j’étais en prison avant et après cette affaire ?
– Et comment peut-on vous faire grâce, Ratcliffe, si vous ne faites rien pour le mériter ?
– Eh bien donc, puisqu’il le faut, j’ai reconnu Geordy Robertson parmi ceux qui sont venus ici chercher Porteous : de quelle utilité cela sera-t-il ?
– Voilà ce que j’appelle en venir au point… Maintenant, où croyez-vous qu’on puisse le trouver ?
– Du diable si j’en sais rien : il a sans doute quitté le pays ; il ne manque pas d’amis d’une façon ou d’une autre ; car, malgré la vie qu’il mène, il paraît avoir été bien éduqué.
– Il n’en figurera que mieux sur le gibet… Le chien maudit ! assassiner un officier de la ville pour avoir fait son devoir !… Qui sait ce qu’il pourrait faire ensuite ? Mais êtes-vous bien sûr de l’avoir vu ?
– Aussi sûr que je vous vois.
– Comment était-il habillé ?
– Je ne saurais trop dire : il avait sur la tête quelque chose comme une coiffure de femme : on ne peut avoir l’œil à tout.
– N’a-t-il parlé à personne ?
– Ils se parlaient les uns aux autres, répondit Ratcliffe, qui évidemment ne se souciait pas de répondre trop clairement à cette interrogation.
– Cela ne peut passer comme ça, Ratcliffe ; il faut tout révéler, dit le procureur fiscal avec emphase, en frappant du point sur la table, et répétant sa phrase.
– Cela est dur, M. Sharpitlaw ; et sans cette place de porte-clefs…
– Et un jour celle de capitaine de la Tolbooth, en cas de bonne conduite.
– Oui, en cas de bonne conduite, c’est là le diable ! et puis il faut attendre les souliers des morts.
– Mais la tête de Robertson a son prix, Ratcliffe ; songez à la récompense promise pour son arrestation ; songez que, si vous la gagnez, et que vous obteniez le poste que vous désirez, vous pourrez mener à l’avenir une vie honorable.
– Je ne sais, dit Ratcliffe ; c’est commencer drôlement le métier de l’honnêteté, M. Sharpitlaw ; mais du diable si je m’en inquiète ! Au surplus, je puis vous dire que j’ai vu Robertson parler à Effie Deans, cette fille qui est ici pour infanticide.
– Oui-dà, Ratcliffe ! Un moment donc ! Je crois que nous approchons la main du nid !… Cet homme qui a parlé à Butler dans le parc… ce rendez-vous de nuit avec Jeanie Deans à la butte de Muschat… En rapprochant tout cela… je parierais qu’il est le père de l’enfant d’Effie !
– On pourrait plus mal deviner, dit Ratcliffe en mâchant du tabac, et en faisant jaillir sa salive entre ses dents. J’ai entendu parler d’une maîtresse qu’il avait, et c’est tout ce qu’a pu faire Wilson que de l’empêcher de l’épouser.
Un officier de police entra en ce moment, et dit à Sharpitlaw que ses gens tenaient la femme qu’il lui avait donné ordre d’arrêter.
– Peu importe à présent, répondit le procureur fiscal, l’affaire prend une autre face. Au surplus, faites-la entrer.
L’officier se retira, et amena une femme de vingt à vingt-deux ans, d’une très grande taille, et singulièrement vêtue. Elle avait une espèce de redingote bleue garnie de vieux galons ; ses cheveux, relevés comme ceux d’un homme, étaient couverts d’une toque de montagnard avec un panache de plumes brisées ; elle portait un jupon de camelot écarlate, où l’on voyait encore quelques vestiges de broderie fanée. Elle avait les traits mâles et hardis ; de grands yeux noirs, un nez aquilin, et un profil bien dessiné, lui donnaient de loin une apparence de beauté ; elle agita une houssine qu’elle tenait à la main, fit la révérence aussi profondément qu’une dame de province introduite dans une grande soirée, se recueillit gravement comme Audrey, dans la scène où Touchstone lui fait la leçon {62} , et ouvrit la conversation sans attendre qu’on l’interrogeât.
– Dieu donne à Votre Honneur d’heureux jours accompagnés de plusieurs autres, bon M. Sharpitlaw. Bonjour, Daddy Ratton ; on m’avait dit que vous étiez pendu, mon homme ; vous êtes-vous tiré des mains de Jean Dalgleish comme Maggie Dickson ?
– Taisez-vous, bavarde, lui dit Ratcliffe, et écoutez ce qu’on a à vous dire.
– De tout mon cœur, Rat. Je suis si contente qu’on m’ait envoyé chercher par un grand homme à habit brodé, qui m’a conduite en plein jour, et à la vue de toute la ville, pour
Weitere Kostenlose Bücher