La Prison d'Édimbourg
mourrait de douleur.
– Elle n’en aurait pas le temps, mon garçon, dit Sharpitlaw : elle ne tardera pas à être pendue. – Le cœur d’une femme est long-temps à se briser.
– C’est suivant l’étoffe dont elles sont faites, monsieur, dit Ratcliffe. – Mais pour abréger – je ne puis me charger de cette affaire : – elle répugne à ma conscience.
– Votre conscience, Ratcliffe ! dit Sharpitlaw avec un ironique sourire que le lecteur croira probablement très naturel dans cette occasion.
– Oui, monsieur, répondit Ratcliffe avec sang-froid. – ma conscience… chacun a une conscience. Je crois la mienne aussi bonne que celle des autres ; et cependant, semblable au coude de ma manche, elle attrape parfois quelque tache dans un coin.
– Eh bien, puisque vous êtes si délicat, je parlerai moi-même à la fillette.
Il se fit conduire dans une petite chambre obscure qu’Effie-occupait. La pauvre fille était assise sur son lit, plongée dans une profonde rêverie. Son dîner était encore sur une table, sans qu’elle y eût touché, et le porte-clefs qui était chargé d’elle dit qu’elle passait quelquefois vingt-quatre heures sans autre nourriture qu’un verre d’eau.
Sharpitlaw prit une chaise, ordonna au porte-clefs de se retirer, et ouvrit la conversation, en s’efforçant de donner à son ton et à sa physionomie une apparence de commisération et de bonté. La chose n’était pas facile, car il avait la voix aigre et dure, et ses traits n’annonçaient qu’égoïsme et astuce.
– Comment vous trouvez-vous, Effie ? comment va votre santé ?
Un soupir fut toute la réponse qu’il obtint.
– Se conduit-on civilement envers vous, Effie ?… C’est mon devoir de m’en informer.
– Très civilement, monsieur, dit Effie faisant un effort pour parler, et sachant à peine ce qu’elle disait.
– Votre santé paraît bien faible ; désireriez-vous quelque chose ? êtes-vous contente de votre nourriture ?
– Très contente, monsieur, dit la pauvre prisonnière d’un ton où il ne restait plus rien de l’enjouement et de la vivacité du Lis de Saint-Léonard ; elle n’est que trop bonne pour moi.
– Il faut que celui qui a causé vos malheurs soit un bien grand misérable, Effie ! dit Sharpitlaw.
Cette remarque lui était dictée partie par un sentiment naturel, dont il ne pouvait se dépouiller entièrement en ce moment, quelque accoutumé qu’il fut à mettre en jeu les passions des autres et maîtriser les siennes, et partie par le désir qu’il avait de faire tomber la conversation sur un sujet qui pouvait être utile à ses projets ; car, pensait-il, – plus ce Robertson est un misérable, plus il y a de mérite à le faire tomber dans les mains de la justice.
– Oui, répéta-t-il, un bien grand misérable !… Je voudrais qu’il fût ici à votre place.
– Je suis plus à blâmer que lui, dit Effie : j’ai été élevée dans de bons principes, et le pauvre malheureux… Elle s’arrêta.
– A été toute sa vie un vaurien. C’était le compagnon de ce vagabond, de ce scélérat de Wilson, je crois ; n’est-il pas vrai, Effie ?
– Il aurait été bien heureux pour lui qu’il ne l’eût jamais vu !
– Cela est bien vrai, Effie. – Dans quel endroit Robertson vous donnait-il rendez-vous ? N’est-ce pas du côté de Calton ?
Simple et naïve, Effie avait suivi, sans s’en apercevoir, l’impulsion que lui avait donnée le procureur fiscal, parce qu’il avait eu l’art de faire coïncider ses discours avec les réflexions qu’il présumait bien devoir occuper l’esprit de la prisonnière ; de manière qu’en répondant, elle ne faisait pour ainsi dire que penser tout haut ; ce qu’on obtient assez facilement, par d’adroites suggestions, de ceux qui sont naturellement distraits, ou absorbés par quelque grand malheur. Mais la dernière observation ressemblait trop à un interrogatoire direct, et elle rompit le charme à l’instant même.
– Que disais-je donc ? s’écria Effie en se levant et en écartant de son front des cheveux noirs qui couvraient ses traits flétris et décolorés, mais dont on pouvait encore apercevoir la beauté ; et fixant ses regards sur Sharpitlaw : – Vous êtes trop honnête, trop humain, lui dit-elle, pour prendre avantage de ce qui peut échapper à une pauvre fille qui n’a plus l’esprit à elle ! Dieu me soit en aide !
– J’en voudrais prendre
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