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La règle de quatre

La règle de quatre

Titel: La règle de quatre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Ian Caldwell
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manger. Ce sont de petites bêtes perspicaces. L’expérience leur a appris qu’ils trouveraient toujours de la nourriture ici, qu’elle serait renouvelée quotidiennement. Ils ne prennent même plus la peine d’enterrer les noix et les glands. Quand un corbeau fond comme un vautour sur le couvercle de la poubelle pour marquer son territoire, les écureuils l’ignorent superbement et continuent à se goinfrer.
    — Tu sais à quoi me fait penser ce corbeau ? me lance Paul.
    Je secoue la tête. L’oiseau s’envole, furieux, déployant des ailes à l’envergure impressionnante avec, dans son bec, un ridicule sachet de pain de mie au fond parsemé de miettes.
    — À l’aigle qui a tué Eschyle en lâchant, en plein vol, une tortue sur sa tête.
    Je lui jette un coup d’œil pour m’assurer s’il est sérieux.
    — Eschyle était chauve, poursuit-il. L’aigle voulait briser la carapace de la tortue en la jetant sur une pierre. Il n’a pas fait la différence.
    Cela me rappelle son philosophe tombé dans le puits. Paul est ainsi fait : le moindre incident le ramène vers l’histoire.
    — Là, maintenant, si tu pouvais choisir un endroit au hasard, où irais-tu ?
    — N’importe où ? demande Paul, amusé.
    — Oui.
    — À Rome, avec une pelle et une pioche.
    Caché derrière une tranche de pain, un écureuil lève la tête.
    — Et toi ? Au Texas ?
    — Non.
    — À Chicago ?
    — Je ne sais pas.
    Nous traversons la cour du musée, qui nous sépare de Dod Hall.
    — Tu sais ce que Charlie m’a dit ? murmure-t-il, les yeux fixés sur les traces de pas qui se croisent en zigzag sur la neige.
    — Quoi donc ?
    — Quand tu tires un coup de fusil, la balle file à la même vitesse que si tu la laissais tomber.
    Encore un truc que j’ai appris dans un cours de physique.
    — On ne peut pas distancer la gravité, dit Paul. Quelle que soit la rapidité avec laquelle on avance, on ne va pas plus vite que la pierre qui tombe. C’est à se demander si le mouvement horizontal n’est pas une illusion, si on n’avance pas uniquement pour se persuader qu’on n’est pas en train de tomber.
    — Où veux-tu en venir ?
    — La carapace de la tortue, dit-il. C’était une prophétie. Un oracle avait prédit à Eschyle qu’il succomberait à un souffle venu du ciel.
    Un souffle venu du ciel ! J’imagine le rire de Dieu.
    — Eschyle ne pouvait échapper à l’oracle. Et nous ne pouvons échapper à la gravité.
    Il écarte les doigts, pour former une queue d’hirondelle.
    — Le ciel et la terre, parlant d’une même voix.
    Il a des yeux immenses, comme ceux d’un enfant dans un zoo.
    — Tu racontes ça à toutes les filles que tu rencontres ? lui dis-je.
    Il sourit.
    — Désolé. Surcharge sensorielle. Je m’éparpille. Je ne sais pas pourquoi.
    Moi, je le sais. Il a quelqu’un avec lui. Il n’est plus seul avec sa crypte, avecl’ Hypnerotomachia. Atlas se sent plus léger, maintenant qu’un ami partage avec lui le poids du monde.
    — C’est comme ta question, dit-il en marchant à reculons devant moi. Si tu pouvais aller n’importe où, où irais-tu ?
    Il ouvre les mains et la vérité semble nichée dans ses paumes. Il reprend :
    — Réponse : ça n’a aucune importance, parce que, où que tu ailles, tu continues à tomber.
    Il sourit encore, comme si l’idée de cette chute libre n’avait rien de déprimant. Toutes choses étant égales, semble-t-il suggérer, ici ou ailleurs, ceci ou cela, il éprouve autant de plaisir à être à Dod Hall avec moi qu’à Rome avec une pelle : il cherche à me dire qu’il est heureux.
    Il sort la clef de sa poche, l’enfonce dans la serrure. Le calme règne dans la pièce. Elle a connu une telle agitation depuis hier, l’effraction, les proctors, les policiers, que le silence nous inquiète.
    Paul dépose son manteau dans la chambre. Je décroche le téléphone pour écouter les messages.
    Salut , Tom, crachote la voix de Gil sur fond de parasites. Je viendrai tout à l’heure aux nouvelles, mais… finalement je ne pourrai pas repasser à l’hôpital… Charlie pour moi… Tom… smokimg. Je peux te prêter… nécessaire.
    Cravate noire. Le bal.
    Tom, c’est Katie. Juste pour te dire que dès que j’aurai fini dans la chambre noire, j’irai donner un coup de main au club. Tu m’avais dit que tu passerais avec Gil… Bon… Je crois qu’on se parlera ce soir.
    Elle hésite avant de raccrocher, comme si

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