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La règle de quatre

La règle de quatre

Titel: La règle de quatre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Ian Caldwell
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dansent dans le noir sur leurs jambes de bois. Le vent s’est radouci, mais il neige plus dru que tout à l’heure. J’entends la voix de Paul.
    Puis j’aperçois à quelques mètres Richard Curry, dont le veston flotte dans le vent.
    — Qu’est-ce qui ne va pas ? lui demande Paul.
    — Retourne à l’intérieur, ordonne Curry.
    J’avance pour mieux surprendre leurs paroles, mais la neige craque sous mes pieds. Curry lève les yeux et la conversation s’arrête. Rien dans son expression n’indique qu’il me reconnaît. Il pose une main affectueuse sur l’épaule de son protégé avant de s’éloigner.
    — Richard ! On peut se retrouver quelque part ? demande Paul.
    Mais le vieil homme est déjà loin. Je m’approche de Paul et ensemble nous regardons Curry disparaître dans l’ombre de la chapelle.
    — Il faut absolument que je sache où Bill a dégoté ce journal, dit Paul.
    — Maintenant ?
    — Oui.
    — Mais où est Bill ?
    Dans le bureau de Taft, à l’institut, répond Paul.
    Ce n’est pas la porte à côté.
    — Pourquoi m’as-tu suivi ? me demande-t-il.
    — Je me suis dit que tu pourrais avoir besoin de moi.
    Je tremble de froid. Paul a des flocons dans les cheveux.
    — Ça ira, assure-t-il.
    Sauf qu’il n’a rien sur le dos.
    — Viens, on t’emmènera là-bas en voiture.
    Il baisse les yeux.
    Je préféré lui parler seul.
    — Tu es sûr ? Alors prends ça au moins, dis-je en lui tendant mon manteau.
    Il sourit.
    — Merci.
    — Appelle si tu as besoin de quelque chose.
    Paul enfile mon manteau et glisse le journal sous son bras. Il part d’un pas hésitant.
    — Tu es sûr que tu n’as pas besoin d’aide ? lancé-je sans trop d’espoir.
    II se retourne vers moi, décline mon offre de la tête.
    — Bonne chance, murmuré-je.
    Le froid s’engouffre par le col de ma chemise. Il n’y a rien que je puisse faire pour Paul. Quand il a disparu de mon champ de vision, je retourne à l’intérieur.
     
    Je repasse devant la blonde sans piper mot. Je retrouve Gil et Charlie où je les ai laissés tout à l’heure. Ils semblent hypnotisés par Taft.
    — Tout va bien ? me chuchote Gil.
    — Oui. Je te raconterai tout à l’heure.
    — Certains lecteurs modernes, tonne Taft, se sont contentés de l’idée que ce livre obéit aux règles du roman pastoral, genre cher à la Renaissance. Mais, si l’ Hypnerotomachia ne constitue qu’un roman d’amour classique, pourquoi la passion de Poliphile et Polia n’occupe-t-elle que trente pages du livre, contre trois cent quarante pages d’intrigues secondaires, de rencontres incongrues avec des créatures mythiques et de dissertations sur des sujets ésotériques ? Si un mot sur dix est consacré à l’idylle, comment interpréter les quatre-vingt-dix pour cent restants du livre ?
    Charlie se tourne vers moi.
    — Tu connais tout ça ?
    — Oh, oui…
    J’ai entendu ce discours des dizaines de fois autour de la table familiale.
    — Bref, il ne s’agit pas d’une simple histoire d’amour. « Le Combat pour l’amour dans le songe de Poliphile » — car tel est l’intitulé latin du livre — est extraordinairement plus complexe. Depuis cinq siècles, les chercheurs s’échinent à le déchiffrer avec les meilleurs outils d’interprétation de leur époque, et aucun n’a réussi à trouver son chemin dans ce labyrinthe.
    «  L’ Hypnerotomachia est-il un livre ardu ? Voyons comment se sont débrouillés ses traducteurs. Le premier traducteur en français réduisit l’incipit à moins de douze mots alors qu’il en compte soixante-dix dans sa version originale. Robert Dallington, contemporain de Shakespeare, tenta bien de lui être plus fidèle, mais il se découragea et abandonna à mi-parcours. Il n’y eut aucune tentative ultérieure en anglais. Quant aux penseurs de l’Occident, ils n’y voient qu’un galimatias sans grand intérêt. Castiglione recommandait aux hommes de la Renaissance de ne point emprunter au langage de Poliphile pour courtiser les femmes.
    « Pourquoi ce livre est-il si opaque ? Pourquoi a-t-on tant de mal à le comprendre ? Parce que non seulement il se décline en latin et en italien, mais on y trouve du grec, de l’hébreu, de l’arabe, du chaldéen et même des hiéroglyphes ! L’auteur maîtrisait plusieurs langues, passait de l’une à l’autre à sa guise et, quand cela ne suffisait pas, il inventait des mots de son cru.
    « Ce n’est pas le

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