Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
La règle de quatre

La règle de quatre

Titel: La règle de quatre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Ian Caldwell
Vom Netzwerk:
battait de l’aile. Sept ans plus tard, à la parution d’un nouvel article dans une revue de seconde catégorie, un critique osa qualifier son déclin de tragédie. D’après Paul, la nostalgie de ce qui avait uni Taft à Curry et à mon père continuait de le hanter. Au cours des vingt-cinq années qui séparent son arrivée à l’institut de sa rencontre avec Paul, Vincent Taft ne publia que quatre fois, préférant consacrer son temps à la rédaction d’articles critiques sur des travaux universitaires, notamment ceux de mon père. Il ne retrouva ni la flamme ni le génie de sa jeunesse.
    Sa rencontre avec Paul, qui frappa à sa porte au printemps de sa première année à Princeton, ramena certainementl’ Hypnerotomachia dans sa vie. Paul raconte que Taft eut des moments de brio absolument saisissants, que le vieil ours, soudain ragaillardi, pouvait réciter des passages entiers de textes obscurs quand Paul ne les trouvait pas en bibliothèque.
    — C’est cet été-là que Richard a financé mon voyage en Italie, raconte-t-il en se frottant la main sur le tabouret. Nous étions emballés. Vincent aussi. Lui et Richard ne se parlaient plus, mais ils savaient l’un et l’autre que je tenais quelque chose. Que je commençais à comprendre.
    « Nous logions dans un appartement que possédait  Richard au dernier étage d’un ancien palais de la Renaissance. C’était incroyable, merveilleux. Il y avait des tableaux partout : aux murs, aux plafonds, dans des niches au-dessus des escaliers. Le Tintoret, Carrache, le Pérugin… J’étais au paradis, Tom. Je baignais dans la beauté. Le matin, en se levant, Richard déclarait d’un ton résolu : “Paul, aujourd’hui, il faut que je travaille.” Nous commencions à bavarder. Puis, une demi-heure plus tard, il enlevait sa cravate et au diable le travail ! Nous partions en balade. Nous arpentions les piazzas pendant des heures, sans cesser de palabrer.
    « Il me parla de ses années à Princeton, de l’Ivy Club, de ses aventures, des folies qu’il avait faites, des gens qu’il avait connus. De ton père, surtout. Ça paraissait tellement plus vivant, plus emballant que le Princeton que je connaissais. J’étais fasciné. Je vivais un rêve, un rêve idéal. Richard partageait mon euphorie. Pendant tout le temps que nous avons passé en Italie, j’ai eu l’impression qu’il flottait sur un nuage. Il est tombé amoureux d’une Vénitienne. Elle était sculpteur. Il envisageait sérieusement de demander sa main. Cet été-là, j’ai même cru qu’il allait essayer de se réconcilier avec Vincent.
    — Mais cela ne s’est jamais produit.
    — Non. Après notre retour aux Etats-Unis, tout est redevenu comme avant. Vincent et lui ont continué à ne pas s’adresser la parole. Son amie a rompu. Richard a commencé à fréquenter de nouveau le campus par nostalgie, pour se rappeler la passion qui les animait, ton père et lui, quand ils étudiaient avec McBee. Depuis, il vit de plus en plus dans le passé. Vincent a tout fait pour m’éloigner de lui, mais cette année, c’est de Vincent que j’ai essayé de m’écarter, en évitant de me rendre à l’institut, en travaillant à l’Ivy Club chaque fois que je le pouvais. Je ne voulais pas lui parler de ce que nous avions trouvé. Du moins, pas avant d’y être obligé.
    « Vincent a exigé des rapports hebdomadaires sur mes progrès. Il voulait que je lui soumette mes conclusions. Il s’est peut-être dit que c’était sa dernière chance de récupérerl’ Hypnerotomachia.
    Paul se passe la main dans les cheveux.
    — Si j’avais su, j’aurais pondu un mémoire bidon et je me serais tiré d’ici. « Contre les demeures les plus hautes et les arbres les plus élevés, les dieux lancent le tonnerre et la foudre. Car, ne supportant d’autre fierté que la leur, ils aiment asservir tout ce qui est grand. » C’est d’Hérodote. Je connais ces lignes par cœur. J’ai dû les lire cent fois sans jamais me donner la peine d’y réfléchir. C’est Vincent qui me les a fait découvrir. Il savait ce qu’elles signifiaient.
    — Mais tu n’y crois pas.
    — Je ne sais plus ce que je crois, Tom. J’aurais dû me méfier plus tôt. Si je n’avais pas été aussi égocentrique, les manœuvres de Bill et de Vincent ne m’auraient pas échappé.
    La lumière filtre sous la porte. Au fond du couloir, le piano s’est tu. Paul se lève, marche lentement vers la

Weitere Kostenlose Bücher