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La règle de quatre

La règle de quatre

Titel: La règle de quatre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Ian Caldwell
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lettre que Stein lui a expédiée m’a troublé. L’homme m’apparaît sous un nouveau jour. N’était-il pas, d’ailleurs, le plus passionné des trois parl’ Hypnerotomachia  ?
    — Il n’est pas dans le coup, Tom.
    — Tu as pourtant vu sa réaction quand tu lui as montré le journal. Il était persuadé que c’était le sien.
    — Non. Je le connais bien, Tom. D’accord ? Pas toi.
    — Qu’est-ce que je dois comprendre ?
    — Tu n’as jamais fait confiance à Curry. Même quand il a essayé de t’aider.
    — Je n’avais pas besoin de son aide.
    — Et tu détestes Vincent, uniquement à cause de ton père.
    J’encaisse le choc.
    — Paul ! C’est lui qui a amené mon père à…
    — À quoi ? À quitter la route ?
    — Non, il a eu un moment de distraction. Il était perturbé. À cause de Vincent, précisément. Mais qu’est-ce qui t’arrive, Paul ?
    — C’était une critique de livre, Tom.
    — Il a bousillé sa vie.
    — Il a bousillé sa carrière. Ce n’est pas la même chose.
    — Pourquoi le défends-tu ?
    — Ce n’est pas lui que je défends, c’est Richard. Cela dit, Vincent ne t’a jamais rien fait.
    Je brûle d’envie de lui rentrer dans le lard, mais l’effet qu’a sur lui notre conversation fait retomber ma colère. Il se pétrit les joues avec la base des paumes. Pendant un instant, je n’ai plus en tête que l’éclat des phares, le hurlement d’une sirène.
    — Richard a toujours été bon pour moi, ajoute Paul.
    Autant qu’il m’en souvienne, mon père n’a pas prononcé une parole. Pas un mot pendant le trajet, pas un cri quand la voiture a dérapé sur le bas-côté de la route.
    — Tu ne les connais pas, insiste Paul. Ni l’un, ni l’autre.
    Je ne me rappelle plus très bien quand il a commencé à pleuvoir. Était-ce durant le trajet qui devait nous conduire à la foire du livre, où nous attendait ma mère, ou sur la route de l’hôpital, quand j’étais allongé dans l’ambulance ?
    — Je suis tombé sur une coupure de presse, un article sur le premier livre de Vincent, poursuit Paul. Elle datait des années soixante-dix. Il l’avait conservée chez lui. C’était à l’époque joyeuse de Columbia, avant qu’on lui offre ce poste à l’institut, avant que tout se dégrade et qu’il cesse d’écrire. C’était dithyrambique ; le genre d’éloge dont rêvent tous les professeurs. Ça se terminait par ceci : « Vincent Taft se consacre maintenant à un projet qui lui tient à cœur : l’histoire définitive de la Renaissance italienne. À en juger par ce qu’il a déjà accompli, nous sommes en droit d’attendre un livre majeur, un de ces chefs-d’œuvre qui nous font dire si rarement qu’écrire l’histoire équivaut à la faire. » Je me souviens de chaque terme. J’ai retrouvé l’article au printemps de ma deuxième année, avant de faire sa connaissance. Ce jour-là, j’ai commencé à comprendre qui il était.
    Une critique de livre. Comme celle qu’il avait envoyée à mon père, pour être sûr qu’il la lirait. Belladone : un canular ? , par Vincent Taft.
    — C’était l’étoile montante, Tom. Tu le sais. Il était plus brillant que tous ses collègues réunis. Mais il a tout raté. Il a tout laissé filer. Il n’est resté qu’un trou noir.
    Ses paroles se bousculent, résonnent dans le vide, emmuré dans le silence qui nous entoure et l’énorme tension qui l’habite. J’ai l’impression de nager à contre-courant, de lutter contre le ressac. Paul continue, parle de nouveau de Taft, de Curry. Moi, je me dis qu’ils ne sont que les personnages d’un autre livre, des hommes au chapeau bizarre jaillis de mon imagination d’enfant. Mais plus il parle, plus je commence à les voir tels qu’il les voit.
     
    Au lendemain du scandale provoqué par le vol du journal du capitaine du port, Taft quitta Manhattan et s’installa près de l’institut, dans une maison blanche située à deux kilomètres du campus de Princeton. Fut-ce la solitude, l’absence de collègues à qui se mesurer ? Toujours est-il qu’au bout de quelques mois des rumeurs sur son alcoolisme circulèrent dans le milieu universitaire. L’histoire définitive dont il avait tant rêvé mourut de sa belle mort. Sa passion, son souffle, sa force, tout s’écroula.
    Trois ans plus tard, quand il publia une plaquette sur le rôle des hiéroglyphes dans l’art de la Renaissance, il devint évident que sa carrière

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