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La règle de quatre

La règle de quatre

Titel: La règle de quatre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Ian Caldwell
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alors que j’étais au lycée, le panier et le panneau disparurent de notre allée et prirent le chemin d’une œuvre de bienfaisance. Ma mère reconnut ne pas très bien savoir pourquoi mon père avait agi ainsi. « Peut-être croit-il que cela arrangera les choses », hasarda-t-elle.
    Je me demande comment j’aurais pu lui faire plaisir. Alors que le sommeil me gagne, la réponse me paraît limpide : il eût suffi que j’aie foi en ses idoles. C’était ce qu’il souhaitait : sentir que quelque chose de permanent nous unissait, qu’aussi longtemps que nous partagerions les mêmes croyances rien ne nous séparerait. Et je me suis évertué à ce que cela ne se produise pas. L’ Hypnerotomachia ne différait en rien des leçons de piano, du basket ou de sa façon de se coiffer : c’était une illusion dans laquelle il s’enferrait. Et puis, et il savait que cela se produirait tôt ou tard, quand j’ai cessé de croire en ce livre, nous sommes presque devenus des étrangers, même assis pour les repas autour de la même table.
    Paul m’a dit un jour :
    — L’espérance, qui n’est sortie de la boîte de Pandore qu’après que tous les maux s’en furent échappés, est la dernière et la meilleure de toutes les choses. Sans elle, il ne reste que le temps. Et le temps exerce une force centrifuge qui nous repousse toujours plus loin, jusqu’à ce que nous basculions dans l’oubli.
    Là réside, à mon sens, la seule explication possible à ce qui s’est passé entre mon père et moi, entre Taft et Curry, et à ce qui se passera entre nous quatre, les inséparables de Dod Hall. C’est un mouvement perpétuel, une réalité physique à laquelle Charlie pourrait donner un nom, semblable à l’évolution des naines blanches et des géantes rouges. Comme tout dans l’univers, nous sommes condamnés, depuis notre naissance, à nous séparer. Le temps ne fait que mesurer cet éloignement. Si nous sommes des particules dans un océan de distance, détachées d’une matrice originelle, notre solitude obéit à une loi immuable : elle augmente à mesure que nos années s’écoulent.

Chapitre 16
    L’été de mes onze ans, mon père m’envoya passer deux semaines dans une colonie de vacances pour anciens scouts turbulents, espérant que je finirais par réintégrer la troupe qui m’avait exclu. On m’avait en effet retiré le foulard l’année précédente pour avoir jeté des pétards dans la tente de Willy Carlson et continué à trouver cela hilarant après qu’on m’eut sermonné sur la constitution fragile de Willy et l’hypersensibilité de sa vessie. Le temps avait passé et, avec lui, espéraient mes parents, le souvenir de mes bêtises. Il est vrai qu’après le scandale provoqué par Jake Ferguson, un gamin de douze ans dont le commerce de BD pornographiques avait transformé l’expérience du camp scout en une entreprise aussi lucrative pour lui qu’instructive pour ses acheteurs, je faisais figure d’enfant de chœur. Une quinzaine sur la rive sud du lac Erié, s’imaginaient mon père et ma mère, suffirait à me faire rentrer dans le rang et à m’assurer mon retour en grâce.
    Il ne leur fallut que quatre jours pour comprendre leur erreur. Au milieu de la première semaine, un chef scout me déposa devant chez moi et repartit l’air outré, sans un mot. J’étais renvoyé pour conduite déshonorante, coupable, cette fois, d’avoir appris des chansons immorales à mes petits camarades. Dans une lettre de trois pages, le directeur m’accusait d’être un des pires boy-scouts récidivistes de tout l’Ohio et me jugeait mûr pour la maison de correction. N’étant pas sûr de comprendre le sens du terme « récidiviste », je décidai de confier mon péché à mes parents.
    Une troupe d’éclaireuses s’était jointe à nous pour une expédition de canoë d’une journée. Elles chantaient une chanson que mes sœurs m’avaient apprise et qui remontait à leurs propres mornes années de camps et d’insignes : Les vieux amis, ça te rend fort, ils te conduiront à bon port, plus sûrement que l’argent et l’or. J’en connaissais de nombreuses variantes, que je m’empressai de partager avec mes compagnons :
     
    Les vieux débris ont toujours tort.
    Botte-leur le cul avant leur mort
    Prends tout leur argent et leur or.
     
    Ce pastiche ne justifiait certes pas une exclusion. Mais, sans doute pour se venger, après avoir assené un coup de pied à

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