La reine de Saba
petit jardin suspendu, quatre étages en surplomb de la cour du
palais. L’un des lieux les plus discrets de tout le bâtiment. Tan’Amar y
laissait échapper sa rage sans rien en retenir. Himyam lui accorda son sourire
ambigu. Rien ne le réjouissait plus que la fougue et la colère de Tan’Amar.
Sous
l’apparence d’un taureau noir et les grondements d’un fauve se cachait une
intelligence sans détour. D’un vert d’eau paisible, le regard de Tan’Amar
possédait la même légèreté inattendue que cette montagne de muscles qui lui
servait de corps et qu’il mouvait pourtant avec une souplesse de félin. En
outre, aucun homme au monde n’était plus fidèle à Akébo. Une fidélité infinie
et sans prix.
Vingt
années plus tôt, alors qu’il n’était qu’un jeune prince, Akébo courait le pays
de Kouch, de l’autre côté de la mer Pourpre, le long du Nil. Il accomplissait
une grande chasse de plusieurs saisons dans le pays de ses pères. Un jour qu’il
suivait la trace d’un couple de lions dans la savane, il entra dans un village
qui n’était que cendres et cadavres. Les hyènes et les vautours y festoyaient.
La puanteur de la mort coupait la respiration. Éventres, à demi dépecés, des
cadavres d’hommes de tous âges pendaient aux branches des plaqueminiers. Seule
une folie inhumaine avait pu perpétrer pareil massacre.
Akébo
avait pourtant deviné que le corps d’un petit enfant, pendu par les pieds au milieu
de cette puanteur, était celui d’un être encore vivant. Il l’avait fait
descendre et ranimer.
Dans les
semaines qui suivirent, sa chasse était devenue celle aux meurtriers. Quand il
les eut retrouvés, il les contraignit à offrir de dignes sépultures à leurs
victimes et à reconstruire chaque maison détruite, bien que personne ne puisse
plus en passer le seuil. C’était garder, sous les yeux de tous, la mémoire du
pire des forfaits, assura-t-il. Après quoi, les assassins avaient dû s’infliger
eux-mêmes l’ultime châtiment, s’engloutissant ainsi dans un néant infernal et
éternel.
L’enfant
sauvé avait été nommé « Tan’Amar » : né de l’ombre. Il avait
assisté à cette justice.
Tandis que
ceux qui avaient détruit son passé s’effondraient en hurlant, il était venu
glisser sa main de petit garçon dans celle d’Akébo, qui l’avait conservée
jusqu’au crépuscule.
Maintenant,
Himyam disait :
— Tu
as raison, Tan’Amar. Il est probable que le serpent s’agite depuis longtemps
dans la cervelle de Shobwa. Son clan peut aisément en faire un traître à
l’intérieur de Maryab.
— Alors
pourquoi lui laisser le commandement de la garnison ? Ordonne et il sera à
genoux devant toi avant la nuit, seigneur Akébo.
— Je
n’en doute pas. Mais laisse vaquer Shobwa.
— Je
ne comprends pas ta volonté, seigneur.
— Avant
trois jours, je ne veux pas que coule à Maryab un autre sang que celui du
taureau dans l’enceinte du temple, trancha Akébo.
— Je
peux couper le souffle de ce serpent sans qu’il verse une goutte de sang !
insista Tan’Amar.
— N’en
sois pas si convaincu, intervint Himyam. S’il est vrai que Shobwa enfante une
trahison, il prend aussi ses précautions. Tu ne le verras plus seul avant
longtemps. Et les promesses ont dû pleuvoir sur sa garnison afin qu’elle lui
soit acquise.
Akébo lut
le désarroi sur les traits affectueux de Tan’Amar. Sans oser poser la question,
le jeune homme se demandait comment son maître, si avisé en toutes
circonstances, avait pu se laisser tromper aussi facilement.
— Fais
en sorte que le palais soit sûr, ordonna Akébo sans répondre à cette question
muette. Surtout, que nul n’approche Makéda. C’est à elle plus qu’à moi qu’ils
s’en prendront.
5
Maryab, palais Salhîm
C’était le
cœur de la nuit. L’obscurité était limpide, la voûte du ciel sans nuages. Le
silence étouffait les vols des chouettes sur les toits de la ville. Le calme de
Maryab était absolu. Il était tentant de croire que les menaces qui avaient
tendu les esprits tout le jour précédent n’étaient qu’imagination. Tan’Amar
n’avait cependant pas l’intention de se laisser abuser.
Il avait
placé ses guerriers à chacune des portes du palais, sur les murs de ronde et
dans les nombreux escaliers qui transformaient l’immense bâtisse en labyrinthe.
Tous cuirassés et casqués, la lance à la main. Un demi-millier d’hommes aussi
fidèles à leur
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