La reine de Saba
jour.
La bouche
de Kirisha frémit. Elle lui offrit ses yeux. Akébo ne douta pas qu’elle fût
capable de lire sur son visage toutes les pensées qui le traversaient, les
regrets comme les désirs.
Des
serviteurs s’étaient approchés. En les voyant immobiles et silencieux, le
regard rivé l’un à l’autre, ils se détournèrent et attendirent dans l’ombre
qu’on les appelle.
Après un
temps qui parut lourd et long, Akébo leva la main droite, celle qui tenait les
épées et caressait pendant l’amour. Il effleura la joue de son amante. Kirisha
ferma les paupières. Elle pressa sa tempe contre la paume d’Akébo. Sa poitrine
tremblait sous la tunique de nuit et ses yeux contenaient des larmes quand elle
les releva. Elle dit :
— Si
tu pars maintenant, seigneur, tu ne pourras pas honorer ton épouse dans le
sanctuaire et la placer à la droite d’Almaqah dans son jardin éternel.
Akébo
approuva d’un signe imperceptible du front.
— Et
c’est moi qui suis la cause de ce départ, ajouta Kirisha, la gorge nouée.
— Non !
D’aucune manière. Ton clan, celui du seigneur de Kamna, oui, un peu. Mais plus
encore ma sottise et mon orgueil. Voilà ce qui en est la cause et pourquoi
Almaqah me punit. Ne te reproche rien.
Kirisha le
dévisagea. Palpitante, muette, les pupilles immenses, comme une femme qui
étouffe.
Ils
entendaient le souffle de Makéda derrière eux, sous le voile. Akébo songea
qu’ils étaient comme les étoiles d’Almaqah près de la lune. Si proches et si
loin. Il leur aurait suffi d’une très légère inclinaison pour joindre leurs
lèvres. Le désir en mordait leurs reins jusqu’au vertige, mais ils savaient
pourquoi ils ne le pouvaient.
Kirisha
fit un pas de retrait. Elle baissa les yeux.
— J’ai
choisi, chuchota-t-elle. J’ai promis à Makéda : je serai sa servante pour
la vie.
Akébo
ouvrit la bouche. La referma sans trouver de mots pour répondre.
Kirisha
laissa passer un instant avant de murmurer :
— Je
sais où est ma place. Je n’attends rien d’autre. Même si mon cœur est plein de
toi autant que de ta fille.
— Je
suis le roi d’une seule épouse, ainsi le veut Almaqah, marmonna Akébo avec
embarras. Tu n’as pas à faire une promesse de servante. Tu es digne d’être
aimée bien autrement que je t’aime et d’être mère d’un puissant.
Kirisha
esquissa un sourire à travers ses larmes. Lui revinrent les paroles d’une des
chansons lancées dans le bain par Makéda. Elle saisit les mains d’Akébo, la
paume amputée comme la main du vainqueur. Elle les réunit dans les siennes, si
fines, et les pressa entre ses seins en murmurant :
Je te
ferai entrer dans la maison de ma mère, tu boiras le vin d’épices, tu
m’exerceras, et je deviendrai ta douceur précieuse…
— Ta
fille invente les mots de la beauté, dit-elle encore. Elle fera notre bonheur
sans que nous ayons besoin d’être des époux.
7
Maryab, palais Salhîm
Il restait
une heure avant l’aube lorsque le vieux seigneur Yahyyr vint avertir Himyam que
la garnison avait déserté les portes de Maryab et les barrières des routes.
Shobwa portait lui-même la nouvelle dans les maisons nobles amies des clans du
Nord. Il n’attendait que les lueurs du jour pour enflammer la populace, clamer
que les mukaribs de Kamna et Kharibat approchaient, que la colère du serpent
Arwé menaçait Maryab si Akébo y demeurait.
Himyam
accueillit l’information avec calme. Tout était prêt. Deux caravanes s’étaient
déjà éloignées au cœur de la nuit avec les coffres et les serviteurs. La
soudaineté des ordres avait surpris chacun, assurant le secret et coupant court
aux lamentations.
Tan’Amar
avait de son côté trop à faire pour attiser sa colère. La garde royale était
sur le pied de guerre, silencieuse et efficace. Une centaine de guerriers
devaient demeurer jusqu’à l’aube aux portes principales du palais, comme si de
rien n’était. Cependant, invisibles depuis la ville, cinq cents chameaux de
combat vifs et endurants se regroupaient à l’entrée du Jabal Balaq. Un défilé à
l’ouest du nouveau temple qui s’enfonçait entre des falaises infranchissables.
Il conduisait à la route de la mer Pourpre : sept journées de chevauchée avant
d’atteindre le port de Makawan.
Le palais
possédait plus d’une porte discrète par laquelle il était aisé de se retrouver
hors des murs sans même emprunter une ruelle. Certaines ouvraient sur
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