La reine de Saba
promesse.
— C’est
bien ainsi. C’est sa grandeur de l’aimer encore, même si elle est près
d’Almaqah.
Makéda
protesta en claquant sa paume à la surface du bain.
— C’est
pas vrai, ce n’est pas bien ! Je sais que tu es triste. Que ton cœur
saigne. Et moi aussi, je te voudrais pour mère.
Elle
s’écarta de Kirisha, glissa sur l’eau, chantonnant des mots à peine
audibles :
Je te
ferai entrer dans la maison de ma mère, tu boiras le vin d’épice, tu
m’exerceras, et je deviendrai ta douceur précieuse…
Les
servantes s’étaient immobilisées, les linges dans les mains. Makéda atteignit
l’autre côté de la vasque et se redressa, lançant :
— Un
jour tu seras lasse de n’être que la concubine de mon père. Je te perdrai.
Si elle
devina que les gouttes qui roulaient sur les joues de Kirisha étaient des
larmes, elle ne le montra pas. Elle frappa à nouveau l’eau et cria
encore :
— Ton
clan ne voudra pas te laisser avec nous. Je te perdrai !
— Non,
non, Makéda !
Kirisha
s’élança vers elle dans un bouillonnement d’eau.
— Je
sais comment se font ces choses, gronda Makéda. Inutile de me mentir. Ils
viendront te chercher, parce que mon père ne te prend pas pour épouse.
Kirisha
agrippa les mains de l’enfant et les pressa contre sa poitrine.
— Ne
t’inquiète pas, ma bien-aimée. S’il le faut, je me cacherai de mon père et de
mes frères. Je resterai avec toi jusqu’à ma mort.
4
Maryab, palais Salhîm
Le soleil
atteignait son zénith lorsque Akébo le Grand vint prendre place dans la salle
de son conseil.
La pièce
n’était pas très grande. Sculptée en ronde bosse, une longue plaque de porphyre
décorait un des murs d’une colonne de guerriers sur leurs chameaux de combat.
Les fourrures des bêtes, les tuniques et les visages des combattants étaient
rehaussés de couleurs vives. En face, deux larges ouvertures, aux cintres de
briques soutenus par des piliers de cèdre, permettaient une vue immense sur la
ville et la plaine. Il n’y avait pour meuble qu’un siège aux montants de bois
d’ébène et aux accoudoirs de joncs d’or. Il était posé sur une marche de granit
et recouvert d’une tapisserie aux points serrés.
Une douzaine
d’hommes se tenaient là. Ils appartenaient aux plus nobles familles de Saba.
Leur richesse et leur lignage en faisaient les maîtres du royaume après Akébo.
Les uns possédaient les plus beaux champs ou les plus beaux troupeaux, les
autres les caravanes et les caravansérails ou s’assuraient du péage de l’eau
contre l’entretien des ouvrages d’irrigation. Tous s’inclinaient devant le plus
puissant sous la paume des dieux : Akébo. Tous lui étaient redevables de
leur richesse, car ils lui étaient redevables de la paix de leur terre, de
l’importance de leur commerce comme des faveurs d’Almaqah.
C’est
ainsi qu’il entra dans la salle, en tout-puissant. Sept gardes en armes le
précédèrent et s’alignèrent le long du mur sculpté. Les nuques se ployèrent.
Un murmure
lui souhaita longue vie et l’éternelle protection d’Almaqah. Il répondit de
même. Son regard cherchait les visages un à un, en sorte que ses mots
paraissaient adressés à chacun avec amitié.
Les
salutations achevées, Akébo monta sur la marche de granit et s’assit sur le
siège. Aussitôt, Himyam le sage prit place derrière lui, rejoint par un homme
jeune, bâti plus lourdement qu’Akébo et d’une peau d’un noir profond :
Tan’Amar, le chef de sa garde. Un collier d’or encerclait son cou de taureau.
Un ceinturon de la largeur d’une main barrait sa poitrine recouverte d’une toge
de cuir aux bourrelets rehaussés d’argent. Une dague à longue lame y était
agrafée. Le manche d’ivoire jaillissait du fourreau tel un croc de fauve.
La coutume
voulait qu’en conseil les puissants se mettent à leur avantage, témoignant de
la bonne marche des affaires. Il était rare que les nouvelles soient mauvaises,
les difficultés non surmontées et les promesses absentes.
Comme
d’ordinaire, Akébo laissa parler chacun un long moment. Il approuva en silence
les avis qu’on lui prodiguait. Puis, alors que la séance touchait à sa fin, il
tourna son regard vers un homme très jeune, à la peau pâle et au visage d’une
grande beauté. Vêtu de la culotte bouffante des chameliers de guerre, les épaules
couvertes d’un caftan de cuir aux épaulettes d’acier finement
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