La reine de Saba
yeux.
Tan’Amar
approuva.
— J’ai
les soldats qu’il faut. Et aussi des messagers sûrs qui sauront voler jusqu’à
Axoum si nécessaire.
— Surtout,
que nul ne sache la raison de mon départ, pas même nos officiers.
— Il
en est une qui masquera toutes les rumeurs. Regarde…
Il ouvrit
les coffres sur les trésors transportés par les naufragés. Avec un petit cri
d’étonnement, Makéda plongea les doigts dans les pierres colorées. Dans ses
mains aux paumes roses, la lumière grise du jour paraissait s’enflammer et
danser comme si une vie insoupçonnée s’agitait au cœur des gemmes.
Cependant
Makéda se détourna rapidement. Les pointes de flèches en métal, les dagues aux
lames luisantes retinrent toute son attention. Tan’Amar expliqua ce qu’il en
savait.
— Du
fer ! Le fer des armes de Pharaon !
Les doigts
fins de Makéda glissaient sur le fil tranchant, éprouvaient les pointes des
flèches.
— Voilà
un présent qui va plaire à mon père et lui apportera l’envie de retrouver sa
force.
— Le
bateau des étrangers venait d’un pays du Nord. Des gens de commerce égarés et
qui ne connaissent rien de nos côtes. Ils ne sont pas accoutumés à voir des
hommes noirs de peau. Ils s’effraient de chacun de nos gestes, même les plus
doux.
Les
servantes pouffèrent, se cachant le visage derrière leurs mains, oublieuses
déjà de la tristesse qui leur faisait baisser les paupières un instant plus
tôt. Tan’Amar les fit taire d’un coup d’œil.
— Il
en est un qui n’est ni marin ni le capitaine du navire. Il parle et parle, et
on ne comprend rien de ce qu’il raconte. Il écrit, aussi.
Il tira de
sa manche un court étui cylindrique en peau de chèvre contenant une très
étroite bande de papyrus. Elle était recouverte de signes jusqu’à en être
noire.
— Il
portait ce cylindre suspendu à son cou. Il semble y tenir beaucoup. Bien sûr,
nul ici ne sait lire ces signes…
Makéda
examina les dessins réguliers avec attention. Gela n’avait rien à voir avec
l’écriture des Egyptiens, mais n’était pas si éloigné de celle que l’on
apprenait à Maryab. Les traits étaient moins durs, plus fluides. Elle finit par
secouer la tête.
— Les
scribes d’Axoum reconnaîtront peut-être cette langue. Que l’homme vienne avec
nous demain. Et tu as raison : ainsi, on croira que je rejoins mon père
pour lui montrer l’étranger.
3
Axoum
Il leur
fallut trois jours, en menant la caravane au train le plus rapide, pour
parvenir à Axoum. Tan’Amar et Makéda échangèrent peu de mots, trop anxieux
qu’ils étaient de découvrir un malheur à leur arrivée.
Pourtant,
ce fut Akébo lui-même qui se dressa derrière la haute porte de l’enceinte du
palais pour les accueillir. Il laissa à peine à sa fille le temps de quitter la
bosse de son chameau avant de la prendre dans ses bras pour la baiser avec une
tendresse et une effusion que Makéda lui avait rarement connues. L’instant
suivant, il serra Tan’Amar sur sa poitrine, dévoilant devant tous et sans plus
de retenue une affection puissante qui eût pu s’adresser à un fils.
Dès qu’ils
furent dans la salle commune du palais, il se moqua à grands rires des
questions de Makéda.
— Calme
tes craintes, ma fille ! Akébo est vivant. Aucun serpent ne l’a encore
gobé !
Il riait.
Le pouce et l’index de sa main amputée, ses doigts de guerre, semblaient
jongler avec un objet invisible. Néanmoins, toute cette exubérance ne parvenait
pas à masquer la lourdeur de son pas et le voile de sa voix. Le blanc de ses
yeux était strié de veinules trop rouges. Ses joues s’étaient creusées, son
teint, d’ordinaire d’un noir profond et chaleureux, paraissait sans éclat.
Un peu
plus tard, à l’écart dans la cour des femmes, Makéda découvrait les cernes de
fatigue qui mangeaient les beaux yeux de Kirisha. Si son étreinte et ses
baisers conservaient la même tendresse, l’inquiétude, sans dissimulation,
ruinait son sourire de bienvenue.
— Ma
douce, ma reine ! murmura-t-elle en serrant Makéda contre son corps qui
avait pris de l’ampleur. Je savais que tu viendrais. Il faut me pardonner. Je
sais que rien n’est plus important pour toi que d’être à Sabas mais…
— Chuuut !
Makéda
posa les doigts sur les lèvres de Kirisha pour retenir ses excuses.
— Tu
as bien agi. Rien n’est plus important que la santé de mon père. Qu’est-il
arrivé ?
Les
Weitere Kostenlose Bücher