La reine de Saba
les servantes.
Makéda
rompit le charme. Elle serra les longs pans de son manteau autour d’elle. Du
ton qu’elle avait eu un instant plus tôt avec le chef des charpentiers, elle
remarqua :
— C’est
bien, nous ne prendrons pas trop de retard. Il nous faut trois autres bateaux
prêts à gonfler les voiles avant que cesse la mauvaise saison. Crois-tu que
Shobwa sait déjà ce que nous lui préparons ?
Tan’Amar
approuva d’un grognement.
— De
nouveaux espions doivent grouiller autour de nous, c’est probable.
Il se
redressa, ferme et indifférent au vent glacé, laissant flotter son manteau sur
sa cuirasse de cuir, et ajouta :
— Un
messager de Maryab est arrivé ici hier. Il a franchi la mer de jour, avant la
tempête. Sa barque s’est brisée alors qu’il accostait. Ensuite sa route a été
difficile car la tempête commençait. On l’a conduit devant moi dans la nuit. Tu
dormais.
Makéda
esquissa un sourire.
— Un
message du seigneur Yahyyr’an ? Voilà qui tombe bien.
Elle
tendit la main.
— Un
rouleau de sa mauvaise écriture ? Tan’Amar secoua la tête.
— L’homme
l’a perdu avant d’atteindre la côte.
— Comment
peux-tu être certain qu’il ne ment pas et n’est pas un espion ?
— Il
porte la marque du seigneur Yahyyr’an sur l’épaule.
— Mais
qui peut être sûr qu’elle n’est pas contrefaite ?
— Sois
sans crainte. Il restera ici et ne retournera pas à Maryab tant que nous n’en
aurons pas fini avec la construction des navires. Mais il avait appris ce qu’il
devait dire et cela ressemble bien aux mots du seigneur Yahyyr’an.
— Je
t’écoute.
— Il
semble que Shobwa a été saisi d’une grande fureur en apprenant la mort de ses
espions et des servants d’Arwé. Cela a fait grande impression sur le peuple. On
le prend pour un vantard, lui qui avait fait croire qu’Akébo le Grand était un
vieillard sans plus de force. Une jolie surprise. Les seigneurs de Kamna et
Kharibat se sont montrés enclins au retrait. Shobwa en est plus furieux encore.
Il veut les contraindre à nous affronter.
— C’est
dans son caractère. Il ne saura s’arrêter que mort. Je le sais depuis cette nuit
de Maryab où tu m’as poussée dans les souterrains.
Makéda
souriait. Tan’Amar connaissait toute la fureur que couvrait ce sourire.
— Shobwa
a juré devant les portes du temple de Bilqîs qu’il frapperait le cœur d’Axoum.
— Encore
faudrait-il qu’il sache reconnaître un cœur. Tan’Amar acquiesça. Ils se turent.
Tan’Amar se força à ajouter :
— Le
seigneur Yahyyr’an te fait dire aussi qu’il n’attend que ta réponse pour
conduire un taureau dans le temple.
Makéda
s’amusa.
L’un veut
frapper mon cœur, l’autre veut que je le lui donne ! Et toi tu t’en
inquiètes.
— Tu
sais ce que je pense, murmura-t-il.
— Oui.
Ce que tu penses et ce que tu sens. Tu peux être fier de l’un comme de l’autre.
Tan’Amar
ne pouvait détacher son regard de la grâce des yeux fendus de sa reine. De ses
pommettes hautes plus attrayantes que les fruits du paradis. Il guetta sa
bouche comme un assoiffé du désert guette le mirage d’une source.
D’un pas,
Makéda s’approcha de lui. Si près que les pans de son manteau, battus par le
vent, se mirent à claquer contre leurs jambes. Le vent emportait son parfum
d’ambre et de cannelle.
Elle aussi
hésita. Sa main droite se leva vers le visage du guerrier.
Tan’Amar
lut un frémissement sur ses lèvres. L’espace d’un éclair de folie, il crut
qu’il allait les baiser.
Mais la
main de Makéda redescendit et chercha son poing. Elle l’agrippa. Le porta à sa
bouche. Ce furent ses doigts qu’elle baisa, y appuyant sa joue de soie.
— Tan’Amar !
souffla-t-elle aussi bas qu’elle avait chanté. Jamais je n’épouserai le
seigneur Yahyyr’an. Jamais et pour aussi longtemps que Râ reviendra sur
l’horizon. Je n’ai besoin de lui que pour vaincre Maryab. Peut-être ira-t-il
tuer un taureau dans le temple de ma mère Bilqîs. Ne crois pas que cela me
conduira à sa couche. Je le sais, et tu le sais toi aussi.
Elle ferma
les paupières. Tan’Amar vit son regard trembler sous la finesse de la chair.
Elle approcha à nouveau son poing de ses lèvres. Tan’Amar retint un
gémissement : les dents de sa reine s’enfonçaient dans sa paume comme des
perles dans un écrin. La douleur le secoua. Lui, le guerrier. Il eut l’étrange
sensation qu’avec
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