La reine de Saba
grommela Himyam.
— Plus
que tu ne crois, sage de mon frère ! Et assez pour que tu m’écoutes.
— Nous
t’écoutons, mon oncle.
— Cette
bande de papyrus que tu m’as confiée, reine ma nièce, est un salut d’un roi des
pays du Nord !
— Tu
as pu la lire ? s’étonna Makéda.
— Non :
j’ai su me souvenir. Dès que tu m’as donné cette pièce d’écriture, elle m’a
semblé commune. Tout à l’heure, je me suis rappelé avoir vu des signes
semblables sous la plume de l’un de nos scribes marchands. Ma cervelle n’est
pas si mauvaise.
— Alors ?
s’impatienta Himyam.
— J’ai
mis le ruban de papyrus sous les yeux d’Elihoreph. C’est le nom de ce scribe.
Il s’est mis à brailler comme un âne : « Le roi Salomon, le roi
Salomon ! Une lettre du roi Salomon…» Elihoreph est d’un peuple qui vit
sur une île du Nil, mais il n’y est pas né. Ses pères viennent du Nord. On les
appelle là-bas les « Hébreux ». Il fut un temps où Pharaon les tenait
en esclavage. Aujourd’hui, il les traite en ami.
— Que
dit cette lettre ? demanda Makéda sans montrer un grand intérêt.
— Elle
te salue.
— Moi ?
— Toi.
Ou toute autre personne qui la lira ou qui rencontrera celui qui la porte et
qui est un sujet de ce Salomon. Elle dit : Toi qui rencontres mon
messager, un homme en qui ma confiance est placée. Tu peux croire ses paroles
comme si elles sortaient de ma bouche. Je te salue, que le Tout-Puissant, dieu
des Hébreux, te place sous sa paume. Qu’il te bénisse, que tu vives cent ans
afin que nous puissions devenir frères dans la paix. Moi, Salomon, roi de Juda
et Israël.
Myangabo
s’interrompit, l’excitation sur les traits. Il considéra les visages sévères de
Makéda et d’Himyam. Un soupir gonfla ses joues rebondies.
— Vous
gémissez sur l’empoisonnement de mon frère Akébo. Et à quoi servent ces
gémissements ? Le salut de ce Salomon l’a fait sourire de contentement. Et
ce que l’Hébreu transportait dans ses coffres plus encore. Mon frère rêvait de
serrer des armes de fer entre ses doigts. Il a déjà donné les pointes de
flèches pour qu’on les monte sur des jets empennés. Vous verrez qu’il ne va pas
falloir longtemps avant qu’il ne tende à nouveau son arc ! Que Almaqah
soit mille fois remercié d’avoir jeté ce navire devant tes pieds, reine ma
nièce. Rien ne vaut l’appétit de la curiosité quand l’appétit de la bouche ne
peut nous offrir de plaisir. Akébo ne se tient plus d’impatience de connaître
ce Salomon et son peuple d’Hébreux. Ce soir, nous offrirons un festin de
questions à ton naufragé. Cela devrait lui convenir, Tan’Amar me l’a promis
plus volubile qu’une fontaine ! Elihoreph a un fils qui le suit en tout. À
eux deux, ils trouveront bien le moyen d’assécher cette fontaine.
Myangabo
reprit son souffle, les reins cambrés de fierté, le rire sautant de sa gorge à
son ventre dans une œillade pleine de sous-entendus.
— Les
servantes goûteront à tous les plats et moi je vous le dis encore, il ne faudra
guère longtemps pour que l’arc d’Akébo le Grand bande de nouveau !
4
Axoum
De fait,
Myangabo donna des ordres pour que le repas du soir soit l’un des plus beaux
festins célébrés à Axoum. Sauces, plats et boissons en seraient goûtés devant
Akébo le Grand par les servantes qui les avaient elles-mêmes confectionnés.
La
cérémonie ne tarda pas à devenir comique. Les servantes, qui bien sûr n’avaient
rien à craindre, prenaient plaisir à se moquer de leur rôle. Akébo ne fut pas
le dernier à lancer des plaisanteries. Il avait fait asseoir Makéda à sa droite
et Tan’Amar à sa gauche. Myangabo reposait son vaste corps sur une double
épaisseur de coussins. Il s’encouragea à goûter à son tour, singeant l’horreur
et l’effroi, s’attirant rires et œillades des cuisinières qu’il savait, en
d’autres occasions, féliciter à sa manière.
L’appréhension
de Makéda s’estompa. Son humeur s’allégea, le rire passa ses lèvres. Elle
encouragea Kirisha à boire un peu de bière. Bientôt, il ne resta qu’Himyam à
demeurer sévère, la grimace figée sur le visage.
Après
avoir avalé quelques bouchées d’un agneau cuit dans une purée de patates douces
diluée d’un lait de chamelle longuement fermenté avec des dattes sucrées, Akébo
remercia son frère Myangabo.
— Maintenant
que nous avons la bouche apaisée, dit-il, fais
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