La reine de Saba
Elle écoutait, demandait des
explications, des précisions. Chaque fois, les pièges paraissaient vite trop
communs ou trop incertains. Ou risquaient de coûter trop de vies, et elle ne
pouvait s’y résoudre.
Le temps
filait, les ombres de l’après-midi s’allongeaient, rendaient anxieux les
officiers et les patrons des birèmes. Tan’Amar lui-même devenait de plus en
plus nerveux. Il s’éloignait sans cesse de la terrasse pour rejoindre les
guetteurs ou vérifier une ultime fois que ses guerriers se tenaient prêts au
choc du combat sur terre, que l’on soignait les bêtes et qu’elles se reposaient
de leur folle course de la veille.
Du mieux
qu’il le pouvait, il cachait son agacement de voir Makéda repousser toutes les
propositions. Après la fermeté du matin elle paraissait prendre son temps ou
montrait peut-être une indécision qui le mortifiait.
Au moins
le jugement du jeune Tamrin ne fut pas démenti. Alors que le soleil commençait
à redescendre sur l’horizon, les voiles ennemies demeuraient invisibles.
Si les
trompes sonnèrent tout d’un coup, attirant une foule sur les chemins de ronde,
ce fut pour annoncer l’approche d’une caravane. Qui se révéla être celle
d’Himyam. Malgré ses ronchonnements, le vieux sage n’avait guère traîné en
route.
Les yeux
presque clos, agrippé à son bâton, il voulut connaître toutes les nouvelles de
la bouche même de Makéda avant d’aller prendre du repos. Quand elle se tut, il
souleva à peine les paupières.
— C’est
bien, marmonna-t-il.
— Tu
as raison, il faut songer à la ruse. Ton père a toujours vaincu par la force,
mais seulement parce qu’il ne l’exerçait qu’après la ruse.
— Encore
faut-il la trouver, cette ruse, intervint sèchement Tan’Amar, et avant que
l’ennemi soit devant nous.
Son ton
fut assez grinçant pour qu’Himyam lui jette un bref coup d’œil.
— Très
juste.
La grimace
de son sourire inquiétant s’esquissa.
— Notre
reine ne l’a pas trouvée ?
— J’ai
entendu beaucoup de suggestions, répliqua Makéda paisiblement. Rien qui me
donne envie de décider.
Posant ses
doigt longs et légers sur le poignet de Tan’Amar, elle retint sa protestation.
— Ne
sois pas si impatient et fais-moi encore confiance. Aucune voile n’est en vue
et la nuit n’est plus loin. Nous aurons le temps pour nous préparer.
— Nous
préparer à quoi, si nous n’avons pas de plan ?
— Qui
te dit que je n’en ai pas ? Et à quoi sert un piège s’il est tendu trop
tôt ?
— Tu
crains encore des espions, ici ? Et même s’il y en avait, comment
pourraient-ils avertir les navires en pleine mer ?
— Nous
combattons le serpent, ne l’oublie pas. Makéda désigna les collines et les
criques resserrées de la côte.
— Comment
être sûr que des guetteurs ne se tiennent pas cachés dans les broussailles,
prêts à faire des signaux de feu dans la nuit ? Jusqu’à présent, Shobwa
n’a excellé que dans un seul domaine : la fourberie. C’est ainsi qu’il a
tué mon père. Ne sous-estime jamais les inventions de sa langue fourchue !
Himyam
approuva d’un petit grincement réjoui, tapota le sol de son bâton.
— C’est
bien, notre reine. Tu apprends vite. Bien, bien… Je vais enfin pouvoir dormir
en paix… Ces Hébreux qui ont secoué leurs fesses avec moi tout au long de la
route m’ont mis au supplice. Akébo avait mille fois raison. Quels bavards que
ce peuple ! Tu poses une question et ils semblent répondre à mille autres.
7
Sabas
Au soleil
couchant, Makéda réunit autour d’elle Tan’Amar et ses officiers, ainsi que les
trois capitaines des birèmes. Réveillé par une servante, Himyam vint joindre à
eux son visage sans âge, fripé comme un vieux cuir. Un instant plus tard,
intimidé d’être convoqué parmi ces chefs , Abo-aliah, le maître charpentier des birèmes, se montra, serrant timidement un
bonnet de coton entre ses gros doigts.
Avant que
la brume du crépuscule dissolve la limite entre mer et ciel, l’air devint un
bref instant d’une parfaite transparence. Les yeux exercés des marins purent
deviner les ombres translucides et délicates des montagnes de la rive opposée
qui s’affalaient dans la mer Pourpre.
Nulle part
on ne discernait le point noir d’un navire, la teinte légère d’une voile et
encore moins l’amas menaçant d’une flotte.
Makéda se
tourna vers le jeune Tamrin.
— Tu
as bien jugé, lança-t-elle
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