La reine de Saba
se dresserait pas devant eux. Ils
ignorent qui tu es, sourit Tan’Amar avec un regard vers Makéda.
— Alors
ils vont me connaître. Qu’Almaqah choisisse la tête où il étendra sa
paume ! gronda Makéda.
Se glissa
dans son ton rageur et impatient un accent d’autorité qui rappelait celui de
son père. Himyam plissa les joues avec contentement.
— Fais
sonner le réveil. Inutile d’attendre l’aube pour se mettre en route.
Comme
Tan’Amar courait déjà hors de la terrasse, Makéda retint le vieux sage de son
père.
— Je
te veux avec moi à Sabas.
Himyam
écarquilla des yeux, la protestation sur les lèvres. Il détestait ces courses
folles où l’on souffrait le martyre sur la bosse des chameaux. Depuis leur
fuite de Maryab, il avait pris soin de n’en pas subir d’autre. Makéda sourit,
moqueuse.
— Que
je gagne contre Shobwa ou que je perde, j’aurais besoin de toi près de moi.
C’est là mon premier combat et je n’ai pas assez d’orgueil pour l’oublier.
— Tan’Amar
sera à ton côté et je ne suis pas un homme de guerre, comme tu le sais.
— Tu
as été près de mon père chaque fois qu’il a affronté ses ennemis. Il ne
t’aurait pas voulu ailleurs. Et, aujourd’hui, il te veut près de sa fille.
Prends une journée de plus pour nous rejoindre et ne pas briser tes vieux os,
mais ne tarde pas trop.
Les
trompes sonnaient déjà. En un rien de temps, le palais fut illuminé. Un
brouhaha de cris, de courses, d’appels résonna entre les murs. L’agitation
gagna les enclos hors de l’enceinte. Excités par les torches et devinant avec
un flair sûr la prochaine course, les chameaux de combat se mirent à baréter.
La nuit parut soudain vibrer d’un immense et brutal hurlement rauque.
Revêtue
rapidement de l’ample tunique de monte et de la cape en laine de chèvre qui
protégeait du gel de la nuit, Makéda serra Kirisha contre elle. Elle tremblait
de demeurer seule, s’agrippa au cou de Makéda pour supplier :
— Ne
va pas mourir toi aussi !
— Je
vais vaincre, Kirisha, chuchota Makéda à son oreille. Et nous irons ensemble à
Maryab. Tu retrouveras tes sœurs et ton pays. C’est une promesse que je te
fais. Tu sais que je tiens mes promesses.
Un instant
plus tard, Tan’Amar lui apprenait que ses guerriers étaient prêts. On
n’attendait que son ordre pour se lancer dans la nuit. Elle convoqua Myangabo.
Il l’écouta, le regard éberlué, encore brumeux de sommeil.
— Tu
seras le maître ici en mon absence, mon oncle. Sois prudent. Les fourbes de
Maryab ont sans doute semé quelques espions dans Axoum pour fomenter un mauvais
coup dès que nous serons partis.
— Ah !
Voilà ce que je crains, laissa-t-il échapper sombrement.
— Tu
sauras faire face. Et ne sois pas clément si tu dois punir.
— Je
déteste ce que tu me dis, reine ma nièce !
— Mais
moi, je te fais confiance. Ne te laisse pas endormir par le calme de la ville…
et le reste.
Et comme
ils allaient sortir dans la cour, elle demanda :
— Les
scribes et l’étranger sont-ils toujours dans le palais ?
— Serrés
dans la même pièce où nous les avons mis à la mort de mon frère.
— Confie-les
à Himyam. Qu’il les conduise à Sabas tous les trois. Ils lui tiendront
compagnie pour le voyage. Je voudrais encore entendre ce Zacharias qui aime
tant son roi. Il y a bien des choses qu’il a tues.
6
Sabas
C’était une
caravane de plus de cent bêtes. Tan’Amar avait fait doubler le nombre des
chameaux de combat afin que les hommes puissent sauter d’une monture à l’autre
toutes les trois ou quatre heures. En outre, une vingtaine de bêtes
transportaient les armes et les tentes.
Ainsi,
sans prendre de repos, même lorsque le soleil au zénith brûlait la poussière de
la piste, mangeant, buvant et sommeillant sur leurs selles, ils purent
maintenir un train infernal et approcher Sabas avant qu’un nouveau jour se
lève.
Selon les
ordres laissés par Tan’Amar avant son départ, pas un feu ne signalait
l’enceinte du port dans la nuit. Pas une torche où une coupe de bitume n’était
allumée. Dans les maisons de la cité, les entrepôts, sur les digues ou dans les
masures à peine rafistolées depuis la tempête, pas une lampe ne devait servir
de repère à la flotte ennemie.
Cette
obscurité fut d’un grand soulagement pour Makéda et Tan’Amar. Elle était le
signe presque certain qu’aucune attaque des mukaribs n’avait encore été
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