La reine de Saba
y eut
une belle animation sur le port. Guerriers en cuirasse, marins de guerre et
pêcheurs se pressèrent sur la grève au milieu des carcasses de barques qu’on y
avait tirées après la tempête et qui restaient à l’abandon. Deux hommes mirent
à l’eau une embarcation légère, à doubles rames. Elle fila telle une flèche jusqu’à
la coque ventrue qui tanguait encore à deux cents coudées.
Depuis la
terrasse du petit palais, Makéda devina une silhouette qui y sautait. Il ne
fallut plus beaucoup de temps avant que les gardes conduisent devant elle un
homme à l’abondante chevelure bouclée serrée dans un tissu informe. Sa barbe
scintillait de cristaux de sel. Ses lèvres enflées, craquelées par le soleil et
la mer, n’ôtaient rien à l’élégance de ses traits. À son nez puissant aux
narines étroites, à son regard sans détour, Makéda reconnut un vieux lignage de
Saba. Sa tunique délavée et crasseuse, déchirée et pesante encore des embruns,
dévoilait sa vigueur.
Il
s’inclina dans un salut plein d’aisance et de respect.
— Puissante
reine, dit-il en se frappant le front, je suis ton serviteur.
Elle
approuva d’un signe léger.
— Je
t’écoute.
— J’ai
vu leurs bateaux hier, alors que le soleil était encore loin de se coucher. Les
pêcheurs ne s’étaient guère trompés. J’en ai compté dix…
Un
grognement de dépit salua la nouvelle. Tamrin précisa aussitôt :
— Mais
ce ne sont pas tous des birèmes de combat. Je n’en ai compté que cinq. Les
autres sont des gros navires de marchands. Ceux-là, leurs ponts sont noirs
d’hommes en armes.
— Ah,
voilà ! s’exclama un marin. Ils ne veulent pas d’un seul combat de mer.
Les birèmes nous amuseront pendant qu’ils lanceront une grosse troupe dans le
pays.
— Shobwa
veut atteindre Axoum, gronda Tan’Amar. Il veut s’y montrer comme s’il avait osé
combattre Akébo le Grand en duel !
— Quand
seront-ils ici ? demanda Makéda à Tamrin.
— Pas
avant cette nuit, ma reine. Avec le vent qui se remet à souffler, leurs birèmes
pourraient aller plus vite, mais elles doivent attendre les autres.
— Tu
es certain de cela ?
Le regard
intense de Makéda retint celui du jeune officier. Il sentit l’attention tout
entière peser sur lui. Il prit le temps d’une réflexion qui n’était pas une
hésitation.
— Oui,
ma reine.
Il pointa
la barcasse à voile bleue qui approchait maintenant du port.
— Notre
barque est lente et lourde. Elle prend mal le vent de travers et ne se manœuvre
pas à la rame. Les birèmes sont beaucoup plus rapides. Elles auraient pu être
ici avant moi. Si on ne les voit pas, c’est qu’elles ont réglé leur allure sur
les barcasses de transport. Donc, elles n’arriveront pas avant la nuit.
Les autres
marins approuvèrent. Makéda apprécia la réponse et remercia d’un sourire.
— Ma
reine, dit un patron de birème, nous n’avons que trois bateaux prêts au combat,
mais dans un combat d’abordage, avec une bonne manœuvre, notre infériorité
n’est pas si grande.
— Bien
trop risqué, répliqua durement Makéda. Il ne nous faut pas seulement détruire
leurs navires de combat, je veux que pas un seul des guerriers de Shobwa ne
puisse poser le pied sur notre rive. Jamais je ne laisserai les traîtres de
Maryab souiller la terre de mon père. Nous devons couler leurs bateaux.
Tous ! Je veux une victoire dont ils se souviennent longtemps.
— Nous
n’avons pas le nombre, ma reine !
— Je
sais. Et alors ? Le nombre est l’arme des lâches et des imbéciles. Trouvez
donc la ruse qui nous rendra plus forts. Ne vous laissez pas impressionner. Les
seigneurs de Kamna et Kharibat ne sont que des sots vaniteux. Mon père m’a
appris que ce sont là deux défauts qui affaiblissent plus que tout.
*
**
Ce
discours de Makéda, ce feu de rage et d’assurance qui brillait sur ses traits,
firent grande impression sur ces hommes de guerre qui tous avaient déjà
combattu pour Akébo. S’ils avaient redouté, dans les jours précédents, d’être
soumis à la volonté d’une femme si jeune et si inexpérimentée, ils retrouvaient
dans l’orgueil de la fille et son goût de la victoire cette intransigeance
qu’ils avaient tant admirée chez le père.
Néanmoins,
la ruse, ils la cherchèrent tout le jour en vain tandis que les guetteurs
anxieux fixaient la mer nue et éblouissante.
À chaque
idée nouvelle, on venait devant Makéda.
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