La reine de Saba
ses poignets étaient par
instants saisis de frissons. Sa barbe s’animait alors de convulsions saccadées,
ainsi qu’un animal malade.
Hébétés,
ils considérèrent Makéda, à demi allongée sur des coussins de couleur vive,
comme une apparition. L’éclat dansant des flammes des lampes sur sa poitrine
d’or, la couronne ténébreuse de sa chevelure, son regard, sa bouche au dessin
si parfait, souligné par l’éclat d’ivoire de ses dents, les pétrifièrent,
subjugués autant que terrifiés par une beauté qui leur semblait à peine
naturelle.
Makéda
comprit qu’on n’avait guère pris soin d’eux depuis leur arrivée à Saba. N’ayant
aucune consigne pour les bien traiter, les gardes les avaient enfermés sans
ménagement. Ils s’étaient retrouvés avec une cruche d’eau et une bouillie de
millet dans la salle où l’on retenait encore les marins et le capitaine
phénicien du bateau naufragé.
Elle
ordonna qu’on apporte à boire et à manger, fit étaler pour eux couvertures et
coussins de l’autre côté de sa table. Avant de s’asseoir, ils
s’entre-regardèrent, comme s’ils devaient sauter dans de la braise. Makéda s’en
amusa et son rire leur fit courber le front et plier les genoux.
Tandis
qu’ils se nourrissaient et buvaient hâtivement, cédant sans plus raisonner à la
versatilité des traitements qu’on leur accordait, Makéda leur annonça qu’elle
livrerait le lendemain un grand combat.
— C’est
une promesse que j’ai faite il y a longtemps. Je vais exterminer le serpent qui
ronge le royaume de Saba.
Le ton de
Makéda plus encore que la nouvelle les figea à nouveau, suspendit leur faim.
Makéda
sourit devant la crainte qui crispait leurs lèvres, alourdissait encore leurs
paupières épuisées. D’un ton plus paisible, elle déclara :
— N’ayez
crainte. Les traîtres de Maryab sont nombreux et puissants mais, demain, c’est
moi qui serai victorieuse. La justice d’Almaqah, le dieu de mon père et le
mien, ne peut pas en décider autrement.
À
l’adresse de Zacharias, elle ajouta :
— Ton
roi Salomon aime-t-il faire la guerre ? S’essuyant promptement la bouche,
Zacharias écouta la question traduite par A’hia qui prenait le relais de son
père, trop bouleversé. Il répondit en secouant la tête :
— Mon
roi Salomon n’aime rien tant que la paix entre les royaumes. Les deux royaumes
des Hébreux, Juda et Israël, comme ceux qui nous entourent. Celui de Pharaon,
celui d’Hiram, roi de Tyr, et tous les autres, qui sont souvent batailleurs et
enclins à se chercher querelle.
— En
ce cas, comment fait-il pour demeurer en paix avec eux ? s’étonna Makéda.
Masquant
avec art sa douleur d’avoir à interrompre son repas, Zacharias reposa dans
l’écuelle le pain de figue et de fromage qu’il avalait avec délice l’instant
d’avant. Il sourit à la reine de Saba.
— Mon
roi est sage. Plutôt que de les abattre, il effraie ses ennemis. Il les
convainc, avant même la bataille, qu’ils ne peuvent l’affronter sans mourir car
il est autrement plus puissant qu’eux.
Prenant
son élan sans plus regretter son repas, Zacharias raconta comment Salomon, en
moins de dix années, avait bâti des forteresses sur les frontières de Juda et
Israël, enrôlé et entraîné au combat quantité de jeunes hommes vigoureux.
Surtout, il les avait munis d’armes redoutables grâce au fer. Un métal merveilleux
qui permettait de fabriquer des épées, des glaives, des pointes de flèches. À
comme elle avait pu s’en rendre compte elle-même, ainsi que son père, le défunt
roi, que l’Éternel le bénisse jusqu’à la fin des temps. Ces armes de fer, peu
de royaumes en possédaient et tous les redoutaient. Et aussi, ou peut-être
surtout, Salomon avait fourni à ses généraux une arme encore plus
terrible : les chars de combat.
— Les
chars de combat ? s’étonna Makéda, pour qui ces mots étaient dénués de
sens.
Alors
Zacharias expliqua ce qu’étaient les chars. Comment on y attelait les chevaux,
les conduisait dans la bataille, les ravages et les terreurs qu’ils y semaient.
Et aussi comme cela terrifiait d’avance les ennemis, car pour posséder une
telle armée de chars, il fallait des chevaux par milliers, autant de
conducteurs, d’archers, de palefreniers, d’artisans du bois et du métal, des
centaines d’écuries… et donc beaucoup, beaucoup d’or et de puissance !
Quel faible allait affronter Salomon au risque
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