La reine de Saba
menée.
Durant leur folle course, ils avaient tant redouté de découvrir les flammes
d’un incendie, les ruines et les pillages d’un combat déjà perdu, qu’ils
s’étaient presque convaincus d’arriver trop tard.
Cependant,
la lune était dans son premier quart. Elle permettait à peine de suivre la
piste et empêchait de voir si des navires, au large, assiégeaient le port. En
outre, il n’était guère aisé de conduire une troupe si nombreuse sans éveiller
l’alentour de la ville. Rien ne portait plus loin sur la mer que les bruits
nocturnes sur la côte. Ils risquaient d’ameuter l’ennemi s’il n’était pas trop
loin.
Bien que
fourbus, les reins brisés, ne désirant que hâter le moment du repos, ils
ralentirent le pas des chameaux pour la première fois depuis Axoum. Ils
progressèrent avec une prudence redoublée jusqu’à la grande porte de la ville.
Hélas,
l’appel de Tan’Amar aux veilleurs ruina tous leurs efforts. Surpris et
effrayés, les gardes sonnèrent l’alarme. Après quoi, faire ouvrir les portes
nécessita du temps et de l’énervement. On ne les attendait pas si tôt. On se
défiait d’un piège. À bout de ressource et de colère, Tan’Amar fit allumer la
mèche d’une lampe et illumina son visage furieux. Aussitôt, les gonds de la
porte doublée de bronze grincèrent.
Lorsque
enfin la chamelle qui portait Makéda s’agenouilla en frissonnant dans, la cour
du petit palais, la bonne nouvelle jaillit en même temps de dix bouches. Au
dernier crépuscule, aucun bateau ennemi n’avait été aperçu à l’horizon. Par
chance, les vents des trois derniers jours avaient été faibles, irréguliers,
soufflant du sud, en direction opposée à la flotte des mukaribs et sans doute
la retardant.
Comme
Makéda s’inquiétait malgré tout de découvrir les bateaux ennemis devant Sabas à
l’aube prochaine, on l’assura que c’était peu probable. Il faudrait pour cela
que les bateaux des mukaribs manœuvrent exclusivement à la rame. C’était
impossible avant un combat car les rameurs se trouveraient épuisés avant même
qu’on exige d’eux le gros de leur effort.
Makéda se
rappela les paroles d’Himyam. Shobwa et les seigneurs de Kamna et Kharibat
n’étaient que des pleutres. Ils n’avançaient qu’à coup sûr. À attendre que
leurs espions accourent d’Axoum pour confirmer la mort d’Akébo, ils avaient
ruiné leur piège.
De plus, à
prendre ainsi tout leur temps, ils avouaient qu’ils ne la croyaient pas capable
de les affronter. Akébo disparu, ils se pensaient invincibles. Une faute
doublement stupide, un aveuglement dont il fallait profiter.
*
**
Après un
bref sommeil, alors que le jour bleuissait à peine sur la mer, Makéda rejoignit
sur la grande terrasse Tan’Amar et ses officiers.
Le
soulagement du soir faisait place à plus de circonspection. Le vent s’était
levé dans le dernier tiers de la nuit. Un vent aux rafales longues et dures
qui, cette fois, venait du nord-est, c’est-à-dire des côtes de Maryab.
— Un
bon vent pour eux et plus difficile pour nous, grommela l’un des trois patrons
des birèmes neuves prêtes à jaillir du nouveau port.
Cependant
l’horizon laiteux demeurait vide. Ils avaient beau scruter, ils ne voyaient que
les rides incessantes de la houle et le vol souple des pétrels sur les bancs de
poissons.
Soudain
quelqu’un cria. Venant du nord, longeant au plus près la côte encore trouée
d’ombres, une voile se dessinait lentement.
Une seule
voile.
Ils
suspendirent leurs souffles, aiguisèrent leurs regards.
La voile
grandissait très lentement. On devina des silhouettes debout sur la proue, la
voile d’un bleu si léger qu’il se liait à celui de la mer. Ce n’était pas un
bateau de guerre mais une de ces grosses barques ventrues dans lesquelles on
transportait des jarres ou des couffins de fruits d’une crique à l’autre. Un
marin s’écria :
— C’est
Tamrin ! Tamrin est de retour !
Deux jours
plus tôt, un jeune officier du nom de Tamrin avait couru le risque de prendre
la mer avec une simple barcasse. Il voulait aller à la rencontre de la flotte
ennemie. La description qu’en avaient faite les pêcheurs de Makka’h était trop
imprécise, en nombre et en genre de bateaux, pour qu’on pût bien se préparer à
la combattre. Mais l’incertitude des vents avait fait craindre qu’il ne puisse
être de retour avant que les birèmes de Shobwa ne paraissent devant Sabas.
Il
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