La reine de Saba
Mahram Bilqîs
en lui tenant la main pour qu’Almaqah notre Unique scelle vos noces et te donne
un fils avant le prochain hiver. Alors, l’alliance du Nord connaîtra sa fin.
Jamais le seigneur de Tamna ne voudra combattre sa propre descendance. Il
souhaitera même être ton meilleur allié pour que ses héritiers grappillent ton
héritage. D’eux tous, c’est lui le plus redoutable ! Ensuite, le temps
redeviendra ton allié. Tu pourras dénouer ce que tu as noué sous la contrainte.
Akébo eut
un signe d’approbation. Il glissa les deux doigts de sa main amputée sur son
visage mais demeura silencieux.
Himyam
savait qu’il devait maintenant se taire. Akébo n’avait pas besoin qu’on lui
explique les choses longtemps. Il détestait l’insistance.
Le seigneur
de Saba héla l’une des servantes qui patientait sur la terrasse. Il se fit
servir un bol de lait de chèvre, revint tourner autour de la maquette du temple
qui fascinait tant sa fille. Il la contempla longuement avant de secouer la
tête.
— C’est
un plan ingénieux, soupira-t-il enfin. Je ne doute pas qu’il réussisse. Mais je
ne le suivrai pas.
Il se
retourna d’un bloc pour affronter celui qui était peut-être son meilleur ami.
— Ne
m’en veux pas, Himyam. J’ai promis à Bilqîs, j’ai promis à Makéda. Je n’aurai
pas d’autre épouse et je n’aurai pas d’autre descendance. Quoi qu’il m’en
coûte. Même la beauté de la plaine de Maryab ne vaut pas que je revienne sur
mes promesses.
Himyam
écouta sans ciller. Ses lèvres ne s’ouvrirent pas pour un commentaire. Akébo le
jaugea du coin de l’œil.
Le silence
et l’immobilité du sage n’étaient pas une protestation. Himyam avait dit ce
qu’il avait à dire. Le choix d’Akébo était le choix de son maître. Il ne le
disputerait pas. Ainsi allait le respect entre eux. Himyam, déjà, devait
réfléchir aux conséquences de cette décision et s’y préparer.
Akébo
passa une nouvelle fois les deux doigts de sa main amputée sur ses joues que la
lame n’avait pas rasées depuis plusieurs jours.
— Le
conseil se réunira comme il est prévu, ordonna-t-il d’une voix sourde.
3
Maryab, palais Salhîm
Te voilà
si belle, mon amie, tes joues comme des pétales de
cerisier entre les colliers, et ton cou, ô cette grâce de gazelle entre
les perles, te voilà si belle, mon amie…
Entourée
de servantes et sous l’œil attentif de Kirisha, Makéda prenait son bain dans la
vasque de pierre rose de la salle des thermes. Elle n’était pas très profonde,
à peine une demi-hauteur d’homme, mais assez large pour contenir une douzaine
de personnes. Makéda y chantonnait, jouant avec une poupée de bois peint. Ses
doigts caressaient les minuscules gemmes du collier et le diadème d’or incrusté
dans la chevelure réalisée avec ses propres cheveux.
Les
servantes la regardaient, attendries. Elles se laissaient bercer par ses
chansons qui les faisaient rêver. Makéda n’était encore qu’une fillette, son
corps ne portait qu’à peine les promesses de la femme qu’elle
deviendrait. » Pourtant, la fille de leur seigneur n’était pas une enfant
comme les autres, et elles en étaient fières.
— D’où
te vient ce chant ? s’étonna Kirisha.
— De
ma tête ou de mon cœur, je ne sais pas. Makéda avait répondu d’un ton moqueur.
Elle lança sa poupée à l’autre bout de la vasque avec une grimace de mépris.
— Mais
ne va pas croire que je l’ai inventée pour ce stupide morceau de bois.
— Makéda…
Makéda
leva les yeux sur la jeune femme. Un regard sévère, presque dur et qui ne
paraissait plus celui d’une enfant. Avant que Kirisha n’ajoute une parole, elle
se remit à fredonner :
Nous te
ferons des colliers d’or, mon amie, ma belle,
Ô ton
parfum, comme il me berce la nuit.
Quand
je pense à toi, tu es la fumée de myrrhe qui monte du désert…
Les
servantes applaudirent, ravies. Kirisha, les yeux brillants, demeurait figée.
Makéda se laissa glisser au fond de la vasque, les paupières closes et son
petit corps nu ondoyant sur la pierre rose comme une algue sombre et dorée.
Elle s’y maintint si longtemps que Kirisha tendit une main pour la tirer du
bain.
Dès
qu’elle la frôla, Makéda jaillit, lui agrippant le bras, murmurant en la regardant
bien en face :
— Ce
n’est pas pour la poupée, c’est pour toi que j’invente ces chansons.
— Moi ?
— Tu
es la plus belle et celle que
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