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La Reine étranglée

La Reine étranglée

Titel: La Reine étranglée Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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même temps, Tolomei
informait son neveu Guccio Baglioni d’avoir à se mettre en route dans les deux
jours, et lui énumérait ses instructions. Le jeune homme ne témoigna pas d’un
grand enthousiasme.
    — Corne sei strano, figlio
mio  ! [10] s’écria Tolomei. Le sort te donne l’occasion d’un beau voyage, sans qu’il t’en
coûte un denier, puisque c’est le Trésor, au bout du compte, qui paiera. Tu vas
connaître Naples, la cour des Angevins, y côtoyer les princes et, si tu es
habile, t’y faire des amis. Et peut-être vas-tu assister aux préliminaires d’un
conclave. C’est chose passionnante qu’un conclave ! Ambitions, pressions,
argent, rivalités… et même la foi chez certains. Tous les intérêts du monde
jouent dans la partie. Tu vas voir cela. Et tu me fais la face longue, comme si
je t’apprenais un malheur. À ta place et à ton âge, j’aurais sauté de joie, et
je serais déjà à boucler mon porte-manteau… Pour prendre cette figure, il faut
qu’il y ait une fille que tu regrettes de quitter. Ne serait-ce pas la
demoiselle de Cressay, par hasard ?
    Le teint couleur d’huile d’olive du
jeune Guccio fonça un peu, ce qui était sa façon de rougir.
    — Elle t’attendra, si elle
t’aime, reprit le banquier. Les femmes sont faites pour attendre. On les
retrouve toujours. Et si tu crains qu’elle ne t’oublie, profite donc de celles
que tu rencontreras sur ton chemin. La seule chose qu’on ne retrouve pas, c’est
la jeunesse, et la force pour courir le monde.
     

V

MESDAMES DE HONGRIE, DANS UN CHÂTEAU DE NAPLES
    Il est des villes plus fortes que les
siècles ; le temps ne les change pas. Les dominations s’y succèdent ;
les civilisations s’y déposent comme des alluvions ; mais elles conservent
à travers les âges leur caractère, leur parfum propre, leur rythme et leur
rumeur qui les distinguent de toutes les autres cités de la terre. Naples, de
toujours, fut de ces villes-là. Telle elle avait été, telle elle restait et
resterait au long des âges, à demi africaine et à demi latine, avec ses ruelles
serrées, son grouillement criard, son odeur d’huile, de safran et de poisson
frit, sa poussière couleur de soleil, son bruit de grelots au cou des mules.
    Les Grecs l’avaient organisée, les
Romains l’avaient conquise, les Barbares l’avaient ravagée, les Byzantins et
les Normands tour à tour s’y étaient installés. Naples avait absorbé, utilisé,
fondu leurs arts, leurs lois et leur vocabulaire ; l’imagination de la rue
se nourrissait de leurs souvenirs, de leurs rites et de leurs mythes.
    Le peuple n’était ni grec, ni
romain, ni byzantin ; il était le peuple napolitain de toujours, peuple
pareil à nul autre au monde, qui use de la gaîté comme d’un masque de mime pour
dissimuler la tragédie de la misère, qui emploie l’emphase pour donner du
piment à la monotonie des jours, et dont l’apparente paresse n’est dictée que
par la sagesse de ne point feindre l’activité lorsqu’on n’a rien à faire ;
un peuple qui toujours aima la vie et la parole, toujours dut ruser avec le
destin, et toujours montra grand mépris de l’agitation militaire parce que la
paix, qui ne lui fut que rarement dispensée, jamais ne l’ennuya.
    En ce temps-là, et depuis un
demi-siècle environ, Naples était passée de la domination des Hohenstaufen à
celle des princes d’Anjou. L’établissement de ces derniers, appelés par le
Saint-Siège, s’était accompli au milieu des meurtres, des répressions et des
massacres qui ensanglantaient alors la péninsule. Les apports les plus certains
de la nouvelle monarchie se voyaient d’une part aux industries de laine qu’elle
avait fondées dans les faubourgs pour en tirer revenus, d’autre part à l’énorme
résidence, mi-forteresse et mi-palais, qu’elle s’était fait construire près de
la mer par l’architecte français Pierre de Chaulnes, le Château-Neuf,
gigantesque donjon rosé érigé vers le ciel et que les Napolitains, cédant à
leur humour autant qu’à leur attachement aux vieux cultes phalliques, avaient
immédiatement surnommé le Maschio Angioino , le Mâle Angevin.
    Un matin de janvier 1315, dans une
pièce haute de ce château, Roberto Oderisi, jeune peintre napolitain élève de
Giotto, contemplait le portrait qu’il venait d’achever et qui constituait le
centre d’un tableau à trois volets. Immobile devant son chevalet, un pinceau
entre les dents, il ne

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