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La Reine étranglée

La Reine étranglée

Titel: La Reine étranglée Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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parvenait pas à s’arracher à l’examen du tableau où
l’huile encore fraîche avait des reflets mouillés. Il se demandait si une touche
de jaune plus pâle, ou au contraire de jaune légèrement orangé, n’aurait pas
mieux rendu l’éclat doré des cheveux, si le front était assez clair, si l’œil,
ce bel œil bleu un peu rond, avait bien l’expression de la vie. Les traits
étaient exactement reproduits, ô certes oui, les traits… mais le regard ?
À quoi tient le regard ? À un point de blanc sur la prunelle ? À une
ombre un peu plus profonde au coin de la paupière ? Comment arriver
jamais, avec des couleurs broyées et disposées les unes auprès des autres, à
restituer la réalité d’un visage et les étranges variations de la lumière sur
le contour des formes ! Peut-être n’était-ce pas l’œil, après tout, qui se
trouvait en cause, mais la transparence de la narine, ou bien le clair éclat
des lèvres…
    « Je peins trop de Vierges,
avec toujours la même inclinaison de visage, et toujours la même expression
d’extase et d’absence… » pensa le peintre.
    — Alors, signor Oderisi, est-ce
fini ? demanda la belle princesse qui lui servait de modèle.
    Depuis une semaine, elle passait
trois heures chaque jour assise dans cette pièce, posant pour un portrait
demandé par la cour de France.
    À travers la grande ogive au vitrage
ouvert, on apercevait les mâtures des bateaux d’Orient amarrés dans le port et,
au-delà, le développement de la baie de Naples, la mer immensément bleue sous
le poudroiement du soleil, le profil triangulaire du Vésuve. L’air était doux,
et le jour heureux à vivre.
    Oderisi ôta son pinceau de sa
bouche.
    — Hélas ! oui,
répondit-il, c’est fini.
    — Pourquoi hélas ?
    — Parce que je vais être privé
de la félicité de voir chaque matin Donna Clemenza, et qu’il me semblera
désormais que le soleil ne se lève plus.
    C’était là petit compliment, car
déclarer à une femme, qu’elle soit princesse ou servante d’auberge, qu’on va
tomber gravement malade de ne pas la revoir ne constitue pour un Napolitain que
le minimum obligé de la courtoisie. Et la dame de parage qui brodait,
silencieuse, dans un coin de la pièce, avec charge de veiller sur la décence de
l’entretien, n’y trouva pas motif à seulement lever la tête.
    — Et puis, Madame, et puis… je
dis hélas, parce que ce portrait n’est point bon, ajouta Oderisi. Il ne donne
pas de vous une image de beauté aussi parfaite que la vérité.
    On l’eût approuvé qu’il se fût
vexé ; mais, se critiquant, il était sincère. Il éprouvait le chagrin de
l’artiste devant l’œuvre achevée, à n’avoir pu mieux faire. Ce jeune homme de
dix-sept ans présentait déjà les caractères du grand peintre.
    — Puis-je voir ? demanda
Clémence de Hongrie.
    — Ah ! Madame, ne
m’accablez point. Je sais trop que c’est à mon maître qu’aurait dû revenir
l’honneur d’accomplir ce portrait.
    On avait fait appel, effectivement,
à Giotto, lui dépêchant un chevaucheur à travers l’Italie. Mais l’illustre
toscan, occupé cette année-là à peindre la vie de saint François d’Assise sur
les murs de la Santa-Croce, à Florence, avait répondu, du haut de ses
échafaudages, qu’on s’adressât à son jeune disciple de Naples.
    Clémence de Hongrie se leva et
s’approcha du chevalet. Haute et blonde, elle avait moins de grâce que de
grandeur, et moins de féminité peut-être que de noblesse. Mais l’impression un
peu sévère que produisait son maintien était balancée par la pureté du visage,
l’expression émerveillée du regard.
    — Mais, signor Oderisi, s’écria-t-elle,
vous m’avez pourtraite plus belle que je ne suis !
    — J’ai fidèlement suivi vos
traits, Donna Clemenza ; et aussi je me suis appliqué à peindre votre âme.
    — Alors, j’aimerais que mon
miroir eût autant de talent que vous.
    Ils se sourirent, se remerciant
mutuellement de leurs compliments.
    — Espérons que cette image
plaira en France… je veux dire à mon oncle de Valois, ajouta-t-elle en montrant
un peu de confusion.
    Car une fiction, dont personne
n’était dupe, voulait que le portrait fût destiné à Charles de Valois, pour la
grande affection que celui-ci portait à sa nièce.
    Clémence, ce disant, se sentit
rougir. À vingt-deux ans, elle rougissait encore facilement et s’en faisait
reproche comme d’une faiblesse. Combien de

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