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La Reine étranglée

La Reine étranglée

Titel: La Reine étranglée Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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fois sa grand-mère, la reine Marie
de Hongrie, ne lui avait-elle pas répété : « Clémence, on ne rougit
point lorsqu’on est princesse, et promise à devenir reine ! »
    Se pouvait-il vraiment qu’elle
devînt reine ? Les yeux tournés vers la mer, elle rêvait à ce cousin
lointain, ce roi inconnu dont on lui avait tant parlé depuis vingt jours
qu’était arrivé de Paris un ambassadeur officieux…
    Messire de Bouville lui avait
représenté le roi Louis X tel qu’un prince malheureux, parce que durement
atteint dans ses affections, mais doué de tous les agréments de visage,
d’esprit et de cœur qui pouvaient plaire à une dame de haut lignage. Quant à la
cour de France, on devait y voir le modèle des cours, offrant un parfait
mélange des joies de famille et des grandeurs de la royauté… Or rien n’était mieux
fait pour séduire Clémence de Hongrie que la perspective d’avoir à guérir les
blessures d’âme d’un homme éprouvé coup sur coup par la trahison d’une épouse
indigne et la mort hâtive d’un père adoré. Pour Clémence, l’amour ne se pouvait
séparer du dévouement. À cela s’ajoutait l’orgueil d’avoir été choisie par la
France… « Certes, j’aurais longuement attendu un établissement, au point
que je n’en espérais plus. Et voilà peut-être que Dieu va me donner le meilleur
époux et le plus heureux royaume. » Aussi, depuis trois semaines elle
vivait dans le sentiment du miracle et débordait de reconnaissance envers le
Créateur et l’univers entier.
    Une tenture, brodée de lions et
d’aigles, se souleva, et un jeune homme de petite taille, au nez maigre, aux
yeux ardents et gais, aux cheveux très noirs, entra en s’inclinant.
    — Oh ! signor Baglioni,
vous voilà… dit Clémence de Hongrie d’un ton joyeux.
    Elle aimait bien le jeune Siennois
qui servait d’interprète à l’ambassadeur et donc, pour elle, faisait partie des
messagers du bonheur.
    — Madame, dit-il, messire de
Bouville m’envoie vous demander s’il peut venir vous rendre sa visite ?
    — J’ai toujours grand plaisir à
voir messire de Bouville. Mais approchez, et dites-moi ce que vous pensez de
cette image qui est maintenant achevée.
    — Je dis, Madame, répondit
Guccio après être resté un instant silencieux devant le tableau, je dis que ce
portrait vous est fidèle à merveille, et qu’il montre la plus belle dame que
mes yeux aient admirée.
    Oderisi, les avant-bras tachés
d’ocré et de vermillon, buvait la louange.
    — Vous n’aimez donc point
quelque demoiselle en France, comme je l’avais cru comprendre ? dit
Clémence en souriant.
    — Certes, j’aime, Madame…
    — Alors vous n’êtes point
sincère ou devers elle ou devers moi, messire Guccio, car j’ai toujours oui
dire que pour qui aime, il n’est de plus beau visage au monde que celui dont on
est épris.
    — La dame qui a ma foi et qui
me garde la sienne, répliqua Guccio avec élan, est à coup sûr la plus belle qui
soit… après vous, Donna Clemenza, et ce n’est point mal aimer que de dire le
vrai.
    Depuis qu’il était à Naples, et se
trouvait mêlé aux projets d’un mariage de roi, le neveu du banquier Tolomei se
plaisait à prendre des airs de héros de chevalerie, blessé d’amour pour une
belle lointaine. En vérité, sa passion s’accommodait assez bien de
l’éloignement, et il n’avait laissé perdre aucune occasion des plaisirs qui
s’offrent au voyageur.
    La princesse Clémence, pour sa part,
se sentait pleine de curiosité et de dispositions affectueuses à l’égard des
amours d’autrui ; elle aurait voulu que tous les jeunes gens et toutes les
jeunes filles de la terre fussent heureux.
    — Si Dieu veut que j’aille un
jour en France…
    Elle rougit à nouveau.
    — … j’aurai plaisir à
connaître celle à qui vous pensez tant, et que vous allez épouser, je le
souhaite.
    — Ah ! Madame, fasse le
ciel que vous veniez ! Vous n’aurez pas de plus fidèle serviteur que moi,
et, j’en suis certain, de plus dévouée servante qu’elle.
    Et il ploya le genou, avec le
meilleur air, comme s’il se fût trouvé en tournoi devant la loge des dames.
Elle le remercia d’un geste de la main ; elle avait de beaux doigts
fuselés, un peu longs du bout, pareils aux doigts qu’on voyait aux saintes sur
les fresques.
    « Ah ! Le bon peuple, les
gentilles gens », pensait Clémence en regardant le petit Italien qui, en
ce moment, lui

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