La Reine étranglée
représentait toute la France.
— Pouvez-vous me la nommer,
demanda-t-elle encore, ou bien est-ce un secret ?
— Ce n’est point un secret pour
vous, s’il vous plaît de le savoir, Donna Clemenza. Elle se nomme Marie… Marie
de Cressay. Elle est de noble lignage ; son père était chevalier ;
elle m’attend dans son château qui est à dix lieues de Paris… Elle a seize ans.
— Eh bien ! Soyez heureux,
je vous le souhaite, signor Guccio ; soyez heureux avec votre belle Marie
de Cressay.
Guccio sortit et s’élança dans les
galeries en dansant. Il voyait déjà la reine de France assister à ses noces.
Encore fallait-il, pour qu’un si beau projet vît le jour, que le roi Louis,
d’une part, fût en mesure d’épouser Donna Clemenza, et que la famille de
Cressay, d’autre part, voulût bien accorder à un Lombard la main de Marie…
Le jeune homme trouva Hugues de
Bouville en l’appartement où on l’avait logé. L’ancien grand chambellan, un
miroir à la main, cherchait la bonne lumière et tournait sur lui-même pour
s’assurer de son apparence et mettre en place les mèches noires et blanches qui
le faisaient ressembler à un gros cheval pie. Il en était à se demander s’il
n’aurait pas eu avantage à se teindre.
Les voyages enrichissent la
jeunesse ; mais il arrive aussi qu’ils troublent l’âge mûr. L’air italien
avait grisé Bouville. Ce brave seigneur, fort attentif à ses devoirs, n’avait
pu résister, dès Florence, à tromper sa femme, et il s’était aussitôt jeté dans
une église pour s’en confesser. À Sienne, où Guccio connaissait quelques dames
installées dans la galanterie, il avait récidivé, mais avec déjà moins de
remords. À Rome, il s’était conduit comme s’il eût rajeuni de vingt ans.
Naples, prodigue en voluptés faciles, à condition qu’on fût muni d’un peu d’or,
faisait vivre Bouville dans une sorte d’enchantement. Ce qui partout ailleurs
eût passé pour vice prenait ici un aspect désarmant de naturel et presque de
naïveté. De petits maquereaux de douze ans, guenilleux et dorés, vantaient la
croupe de leur sœur aînée avec une éloquence antique, puis restaient sagement
assis dans l’antichambre à se gratter les pieds. Et l’on avait en plus le
sentiment d’accomplir une bonne action, en permettant à une famille entière de
se nourrir pendant une semaine. Et puis le plaisir de se promener au mois de
janvier sans manteau ! Bouville s’était mis à la dernière mode et portait
maintenant des surcots à manches de deux couleurs, rayées en travers. Bien sûr,
on l’avait un peu volé au coin de chaque rue. Faible prix, vraiment, pour tant
d’agrément !
— Mon ami, dit-il à l’entrée de
Guccio, savez-vous que j’ai maigri au point qu’il n’est pas impossible que je
reprenne taille fine ?
La supposition témoignait de
beaucoup d’optimisme.
— Messire, dit le jeune homme,
Donna Clemenza est prête à vous recevoir.
— J’espère que le portrait
n’est point achevé ?
— Il l’est, messire.
Bouville poussa un fort soupir.
— Alors, c’est le signe qu’il
nous faut retourner en France. J’en ai regret, je l’avoue, car j’ai pris cette
nation en amitié, et j’aurais bien donné quelques florins à ce peintre pour
qu’il allongeât un peu son travail. Allons, les meilleures choses ont une fin.
Ils échangèrent un sourire de
connivence, et, pour se rendre aux appartements de la princesse, le gros
ambassadeur prit affectueusement Guccio par le bras.
Entre ces deux hommes, si différents
par l’âge, l’origine et la situation, une véritable amitié avait pris
naissance, et s’était, d’étape en étape, affermie. Aux yeux de Bouville, le
jeune Toscan semblait l’incarnation même de ce voyage, avec ses libertés, ses
découvertes et le sentiment de la jeunesse retrouvée. En outre, le garçon se
montrait actif, subtil, discutait avec les fournisseurs, administrait la
dépense, aplanissait les difficultés, organisait les plaisirs. Quant à Guccio,
il partageait, grâce à Bouville, un train de grand seigneur et vivait dans la
familiarité des princes. Ses fonctions mal définies d’interprète, de secrétaire
et d’argentier lui valaient des égards. Et puis Bouville n’était pas ménager de
ses souvenirs ; et pendant les longues chevauchées, ou bien le soir, au
souper dans les auberges ou les hôtelleries des monastères, il avait instruit
Guccio de bien des
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