La Reine Sanglante
Je… Oh ! oh ! Mais tu n’es pas Gautier !… Qui es-tu ?… Ah ! Je te reconnais ! Tu es Valois !… »
Elle eut un éclat de rire et hurla :
« Valois ! mon amant ! Ah ! il manquait à mon agonie !…
– Silence ! rugit Valois en jetant un regard vers la porte.
– Mon amant ! cria Marguerite. Venez tous ! Spectres de ceux que j’ai aimés, et toi aussi Buridan ! Et toi Philippe ! Gautier ! Entrez, je veux… »
La voix, soudain, s’étrangla dans sa gorge. Dans sa main tremblante, Valois, affolé, avait d’abord tiré sa dague. Mais il la jeta. Il ne fallait pas de sang !… Alors, les yeux hagards, il chercha comment il pourrait tuer Marguerite… et, brusquement, il trouva !…
Les cheveux, les splendides cheveux de Marguerite, à pleines mains, il les saisit, les tordit en corde et les enroula autour du cou… il serra… cela formait deux cordes qu’il noua… Il serra toujours plus fort… Puis, lentement, il défit le nœud, ramena les cheveux sur les épaules… Il se pencha plus bas, livide, effroyable à voir, il se pencha jusqu’à toucher presque la bouche de Marguerite et il eut un grondement furieux en voyant qu’elle respirait encore. Un faible son sortit des lèvres tuméfiées de la reine. Et Valois recueillit ce dernier souffle, les dernières paroles de Marguerite de Bourgogne :
« Myrtille, saints et anges… ayez pitié de Myrtille… protégez ma fille… »
Une petite secousse l’ébranla, puis elle se tint immobile pour jamais.
Valois recula lentement jusqu’à la porte et s’y adossa, les yeux fixés sur le cadavre. Il demeura là une heure, en proie à quelque formidable rêverie. Puis il sortit, gagna le cabinet du roi, livide, effroyable à voir ; il se pencha et, simplement, lui dit :
« Sire, la reine est morte !… »
Le roi se redressa tout droit, poussa un grand cri et tomba tout d’une masse, évanoui. Valois se pencha, l’examina avec une étrange curiosité, puis, se relevant, murmura :
« Avant six mois, je serai roi de France ! »
Et, tout raidi, les yeux fulgurants d’orgueil, il sembla, d’un farouche regard, jeter un défi à la destinée.
XLIV
LES FOURCHES PATIBULAIRES DU SIRE DE MARIGNY
Nous rejoindrons maintenant Lancelot Bigorne, Guillaume Bourrasque et Jean Buridan au moment où, parmi les flots du peuple, ils franchissaient la porte aux Peintres. Cette foule qui, de tous les points de Paris, affluait à la porte où elle s’endiguait pour se répandre ensuite dans la campagne comme un fleuve débordé qui cherche de la place pour ses eaux, cette foule joyeuse était hors des murs, en route pour Montfaucon.
Des compagnies d’archers et de hallebardiers vinrent se ranger au pied du gigantesque piédestal de pierre qui supportait l’ensemble des fourches patibulaires de Montfaucon ; ces soldats repoussèrent la foule déjà compacte autour du gibet, et chacun s’installa.
Tout à coup, tout le monde fut debout ; une clameur terrible monta de cent mille poitrines :
« Le voilà !… »
Il faisait plein jour. Le soleil se levait et ses rayons venaient se jouer parmi les énormes piliers et les grosses chaînes du funèbre monument.
Marigny marchait sans entraves, il était vêtu de la chemise des pénitents et portait un gros cierge à la main. Il était pieds nus.
Il s’avançait d’un pas ferme. Une indomptable fierté se lisait sur son visage ; il ne semblait entendre ni les cris de mort, ni les insultes ; il tenait ses yeux fixés sur Capeluche, qui marchait devant lui, sa corde enroulée au bras.
Comme on rapprochait du gibet, Marigny fit un pas plus vite, écarta rudement Capeluche et lui dit, à haute voix :
« Ôte-toi ; tu m’empêches de voir le gibet que j’ai offert à notre Sire !… »
Capeluche obéit et passa derrière lui.
Bientôt, le cortège s’arrêta au pied du soubassement ; deux hommes s’avancèrent qui voulurent saisir le condamné par les bras, mais il les écarta, et, ferme, monta les degrés qui conduisaient à la plate-forme.
Enguerrand de Marigny se tourna vers la foule immense sur laquelle, à ce moment, plana un silence de mort et, redressant sa haute taille, sa tête flamboyante d’orgueil, il domina, du haut du gibet, comme du haut d’un trône. Tout le monde comprit qu’il allait parler.
Mais, dans cette minute, un homme qui, d’un regard ardent, contemplait cette scène, fit un signe, et, aussitôt vingt-cinq hérauts, massés
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