La Reine Sanglante
qu’elle allait mourir, elle n’avait plus peur de voir la plate-forme se peupler de spectres et la Seine rejeter des cadavres.
Voici exactement ce qu’elle pensait :
« Ce n’était pas du poison ! Louis a voulu faire une épreuve ! Louis ne veut pas que je meure ! Louis m’aime encore ! Je vais vivre ! Je vais être heureuse… »
Dans cet instant même, elle porta la main à son front brusquement. Il lui sembla que quelque chose, elle ne savait quoi, se brisait dans sa tête. Puis, cette brève souffrance disparut. Elle respira, souriante encore. Mais il y avait alors dans ses yeux hagards quelque chose qui n’y était pas tout à l’heure. Une deuxième fois, elle sentit à la nuque une violente douleur qui, presque aussitôt, disparut comme la première. Elle fixa la Tour de Nesle comme pour se convaincre qu’elle ne redoutait pas la tour, maintenant qu’elle savait la vérité : que le roi avait voulu faire une épreuve et que, par conséquent, il ne voulait pas qu’elle mourût !…
« C’est qu’il m’aime toujours ! Oh ! Je vais l’aimer, moi, comme je n’ai jamais aimé : Tour de Nesle, tour maudite, je te dis adieu. »
Dans cette seconde, elle demeura horrifiée, éperdue de terreur et recula en frissonnant, tremblante des pieds à la tête, d’un tremblement convulsif…
Là, sous ses yeux, en plein soleil, sur la plateforme de la Tour de Nesle, un spectre venait d’apparaître. Et c’était le spectre de Gautier d’Aulnay !…
Il y avait une cause à la vision de Marguerite. Marguerite avait bu le flacon que le Hutin avait apporté plein de poison et que Juana, après l’avoir vidé, avait rempli d’eau.
Ce poison eût foudroyé Marguerite. Les gouttes qui se mélangèrent à l’eau furent impuissantes à la tuer, mais gardèrent une force suffisante pour amener des troubles nerveux.
Ce trouble, en quelques secondes, devint général. La vue, l’odorat, le toucher, se pervertirent et ce fut une véritable crise de démence qui se déclara.
Sur la plate-forme de la Tour de Nesle, Marguerite vit donc un homme, et cet homme fut pour elle Gautier d’Aulnay. La malheureuse se mit à trembler et bégaya :
« Gautier ! L’homme qui m’a maudite ! Oh ! je le savais bien que je succomberais tôt ou tard sous cette malédiction !… Il m’implore… Stragildo, ne ferme pas le sac, je ne veux plus que ces infortunés soient précipités !… Assez de victimes ! Assez de meurtres ! Dieu puissant, assez !… Trop tard ! Il les a précipités !… »
Elle vit Gautier déchirer le sac avec son poignard. Alors, il apparut à la surface du fleuve et se mit à marcher sur l’eau.
Il regardait Marguerite. Il venait à elle…
La reine rassembla le peu de forces qui lui restaient, fit retomber le châssis, tira les rideaux et sortit en chancelant de l’embrasure.
« Il ne pourra pas entrer, puisque j’ai fermé la fenêtre », murmura-t-elle.
Brusquement, elle se redressa, porta les mains à ses tempes et rugit :
« Je l’entends qui monte ! Ne le laissez pas monter ! Louis, à moi ! Grâce !… »
Elle essaya de sauter du lit, mais elle demeura comme paralysée par l’excès de l’épouvante. Elle entendait distinctement Gautier qui, entré dans le Louvre, était venu tout droit à la Grosse Tour, et elle l’entendait monter.
Soudain la porte s’ouvrit…
Marguerite jeta les mains au-devant d’elle pour repousser l’affreuse vision ; mais la vision, après avoir soigneusement fermé la porte, marchait jusqu’à elle et se penchait…
Et cette fois, la vision irréelle devenait réalité.
Car la porte s’était vraiment ouverte ; un homme, cette fois, s’approchait vraiment de Marguerite et se penchait sur elle. Cet homme, c’était Valois.
Il tressaillit d’horreur.
Ce n’était plus Marguerite qui était sous ses yeux ; cette femme affreusement maigre, à demi morte de faim, presque un spectre elle-même, était-ce bien la belle, la souverainement belle Marguerite de Bourgogne ?…
Mais, tout aussitôt, cette pâle lueur de pitié qui venait de s’éveiller dans le cœur de cet homme s’éteignit. Marguerite était agonisante, oui ! Mais elle n’était pas morte encore ! Elle pouvait parler ! Elle pouvait le perdre !
Il essuya la sueur qui coulait sur son front et gronda :
« Marguerite, il faut boire le poison… »
Elle eut encore la force de crier :
« Grâce, Gautier, grâce ! Ne me tue pas !
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