La Reine Sanglante
attitude d’immobilité farouche qu’il gardait depuis qu’il était au pouvoir de ses ennemis. Stragildo se savait condamné. Toute la question pour lui était de savoir comment on le ferait mourir. Il savait qu’il n’avait ni grâce ni miséricorde à attendre de Buridan. Enfin, solidement ligoté, cet espoir qu’il avait eu d’abord de pouvoir une deuxième fois s’enfuir l’avait peu à peu abandonné. Dans la matinée de ce jour, Haudryot, comme tous les matins, lui avait descendu à manger. Et, doué d’un robuste appétit, Stragildo avait mangé comme d’habitude, mieux même, lui sembla-t-il. Seulement, lorsqu’il fut rassasié, il eut soif. Il chercha le pot plein d’eau qu’on lui remplissait plusieurs fois par jour, et il ne le trouva pas.
Alors, il sentit sa soif s’exaspérer et s’aperçut qu’on lui avait fait manger des viandes fortement épicées.
Lorsque, enfin, la nuit venue, Riquet lui apporta de l’eau, il reprit, aussitôt après avoir bu, son attitude d’insouciance farouche, et même l’espoir rentra en lui.
Peut-être ne le tuerait-on pas ?…
Peut-être Buridan finirait-il par oublier et lui ferait grâce de la vie ?…
Et déjà, il échafaudait des projets de vengeance.
Au moment où Stragildo sentait renaître en lui, en même temps que l’espoir, sa passion de vengeance, il chancela. Ses yeux se voilèrent. Une torpeur s’empara de lui. Il voulut crier et il comprit que sa langue se paralysait…
« Ils m’ont empoisonné ! » songea-t-il.
Dans cette minute où il lui sembla qu’il allait mourir, Stragildo fut envahi par une douleur que jamais il n’avait éprouvée. Mourir n’était rien. Mais mourir sans se venger de ce Buridan qui était la cause de son malheur, cela lui apparut comme la pire souffrance…
Dans cet instant, Buridan parut.
Il examina un instant à la lueur d’une torche le gardien des fauves.
Puis, se tournant vers Haudryot :
« Détache-le ! » dit-il.
Riquet s’empressa d’obéir et, avec son poignard, coupa les liens du prisonnier. Stragildo eut un rugissement de joie. Il se ramassa, rassembla toutes ses forces. Avant de mourir, il aurait la consolation d’étrangler Buridan ! Et il s’élança sur le jeune homme immobile. Ou, du moins, il voulut s’élancer. En réalité, il fit péniblement deux pas et s’arrêta. Il voulut lever les bras pour saisir à la gorge Buridan qui, tout près de lui, ne bougeait pas ; et il sentit que ses bras étaient de plomb, qu’il lui était impossible de les soulever !…
Buridan le toucha du doigt.
Et Stragildo vacilla.
Alors un flot de rage monta jusqu’à ce cerveau et, comme elle ne pouvait se traduire en cris et en paroles, car la langue paralysée refusait son office, elle se condensa en larmes qui coulèrent sur ce visage stupéfié, immobilisé, étrangement rigide… Dans ce moment, Stragildo sentit que le poison se mettait à agir sur sa pensée.
« Viens », dit Buridan, qui sortit du caveau.
Et Stragildo se mit à suivre docilement. Tout au fond de lui-même grondait la révolte de plus en plus faible et lointaine, qui finit par disparaître elle-même.
Derrière Buridan, Stragildo monta l’escalier d’un pas indécis ; mais il marchait et se tenait suffisamment ; il y avait en lui stupeur générale, anéantissement de la volonté ; mais le philtre qu’il avait bu n’allait pas jusqu’à lui retirer la faculté de se mouvoir et le sens de la direction ; l’idée de fuir n’existait plus en lui ; ni l’idée de vengeance ; Buridan, Guillaume, Riquet lui apparaissaient comme des ombres ; il ne les reconnaissait pas.
« Combien de temps doit durer l’effet de l’élixir ? demanda Buridan à Haudryot.
– Environ trois heures. Après quoi, le drôle reprendra toute sa force et toute son activité. Si tu m’en crois, il faut profiter de ce moment de stupeur pour le passer de la vie à trépas…
– Oui, dit Guillaume, et le misérable n’aura pas à se plaindre d’une telle mort, lui qui a précipité Philippe et Gautier, lui qui a… »
Buridan l’interrompit :
« Vous m’attendrez ici. Si je suis de retour avant la fin de la nuit, nous partirons ensemble. Si vous ne me revoyez pas, vous irez au Roule, où j’ai donné à Mabel des instructions pour vous… »
Guillaume et Riquet comprirent que Buridan allait tenter quelque épreuve impossible.
Mais comme ils le connaissaient têtu, comme ils savaient, par
Weitere Kostenlose Bücher