La Reine Sanglante
semaine au plus ?
– Non. Mais dites-moi de quoi est mort votre homme. A-t-il succombé à quelqu’une de ces maladies qui décomposent un mort et défigurent un visage aussitôt après et même avant la mort ?
– Il est trépassé d’avoir eu autour du cou un fil de chanvre qui l’a trop serré. Voilà sa maladie.
– Vous voulez parler d’Enguerrand de Marigny ?
– Ah ! vous êtes un vrai sorcier, vous qui devinez ainsi du premier coup de qui je viens vous parler !
– Vous me parlez d’un homme qui est mort ce matin et qui est mort pendu. Il faudrait que je fusse stupide pour ne pas deviner qu’il s’agit d’Enguerrand de Marigny.
– Tiens ! dit Bigorne.
– Mais laissons cela. Puisqu’il s’agit d’un homme qui est mort en pleine santé, je puis, non pas lui rendre la vie mais l’apparence de la vie.
– C’est tout ce qu’il faut ! dit avidement Bigorne.
– C’est bien ! Apportez-moi le cadavre et je le préparerai de façon que pendant des mois et des années, il aura l’apparence d’un vivant.
– Diable ! fit Bigorne. Il faut vous apporter le cadavre ? Vous ne pourriez pas opérer de loin, par enchantement ?
– Impossible. C’est ici même que doit se faire l’embau… je veux dire l’enchantement.
– Eh bien, soit, ce soir, à minuit, je serai ici avec le cadavre. »
Puis ils débattirent le prix. Le sorcier se montra modéré et se contenta de trois écus d’argent, que Bigorne lui versa séance tenante.
« Quelle aubaine ! songea le sorcier, lorsque Bigorne se fut retiré. Pouvoir étudier à mon aise le corps d’un Enguerrand de Marigny ! C’est moi qui les aurais plutôt donnés, les trois écus… Comment cet homme va-t-il s’y prendre pour décrocher le cadavre et l’apporter ici ?… Et que veut-il en faire ?… Bon, cela ne me regarde pas ! »
Quant à Bigorne, il se rendit tout droit chez un maraîcher qui cultivait un lopin de terre aux abords du Temple et il lui acheta la charrette qui lui servait à transporter ses légumes, et l’âne qui servait à tirer la charrette.
XLVI
GAUTIER D’AULNAY
Il paraît que Charles de Valois était pressé d’en finir avec ses prisonniers, et qu’après s’être débarrassé de Marigny et de Marguerite comme on a vu, il voulait promptement se débarrasser de Gautier d’Aulnay, car en traversant Paris, Bigorne entendit le crieur public annoncer aux Parisiens que :
« Le lendemain matin, sur la place du Martroi-Saint-Jean, seraient mis à mort les frères d’Aulnay, reconnus coupables de haute trahison, sur leur propre aveu enregistré par le Parlement !
« Que l’un des deux frères, Philippe, sire d’Aulnay, s’étant fait justice à lui-même en se tuant dans sa prison, serait supplicié en effigie ;
« Mais que le survivant serait supplicié dans son corps ;
« Qu’en conséquence, ledit survivant Gautier, cadet de la famille d’Aulnay, serait écorché vif par la main du bourreau. »
Buridan savait déjà que Gautier allait mourir le lendemain matin, et quel genre de supplice lui était réservé. Accablé de douleur et d’épouvante, le jeune homme n’en gardait pas moins une lueur d’espoir au fond de son cœur. Cette journée atroce fut bien lente pour lui. Elle s’écoula cependant ; la nuit vint, et Riquet Haudryot, envoyé en éclaireur, arriva bientôt, disant que Gautier d’Aulnay était en marche pour la place du Martroi-Saint-Jean.
« Il est donc temps d’agir, dit Buridan. L’élixir ?…
– Le voici, dit Riquet. Il m’a coûté…
– Peu importe !… Va, vite… Es-tu sûr qu’il le prendra ?
– Il n’a pas bu de la journée et doit enrager de soif. Il boira, c’est sûr. »
En même temps, Riquet versait le contenu de la fiole dans un pot qu’il acheva de remplir d’eau fraîche. Guillaume assistait à ces préparatifs en poussant des grognements de désespoir.
« Passe encore pour Philippe ! Et encore, celui-là a échappé au supplice. Mais Gautier. Ah ! ce pauvre Gautier ! »
Un sanglot coupa la parole à Guillaume Bourrasque. Quant à Riquet, simplement, il était descendu au caveau où Stragildo était enfermé et lui avait passé le pot d’eau fraîche en disant :
« Eh ! on vous a oublié aujourd’hui. Ce n’est pas notre faute, nous nous sommes occupés d’une de vos victimes. »
Stragildo, sans rien dire, saisit le pot et le vida jusqu’à la dernière goutte.
Puis il reprit cette
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