La Reine Sanglante
bouche, sans prononcer un mot.
Peu à peu, en quelques minutes, après la première explosion, cette joie furieuse qui bouleversait Gautier parut se condenser. Il se mordit les lèvres jusqu’au sang. Puis, comprenant sans doute que l’instant était terrible, il s’accota au mur et ferma les yeux… comme pour ne pas être ébloui.
D’un tour de main, Buridan enleva le long manteau qui couvrait Stragildo, le jeta sur les épaules de Gautier et rabattit la capuche.
« Peux-tu marcher ? fit-il dans un souffle.
Pour toute réponse, Gautier fit quelques pas dans le cachot et alla s’appuyer à la porte, la tête dans les deux mains, pleurant silencieusement.
Buridan haletait. Il était couvert de sueur comme s’il eût accompli quelque travail très pénible.
Cependant, il gardait tout son sang-froid.
Alors il poussa Stragildo dans l’ombre du cachot et lui mit la main sur l’épaule.
« Me reconnais-tu ? » demanda-t-il.
Stragildo parut faire un effort. L’intelligence, peu à peu, se réveillait dans son esprit stupéfié.
« Je suis Buridan, reprit le jeune homme. Écoute donc mes dernières paroles. Tu as été lâche et cruel toute la vie, et moi, je t’avais condamné à mort. Je ne te frappe pas, pourtant. Une dernière chance te reste, et, si elle t’est favorable, je croirai que Dieu t’a pardonné. Quant à moi, en mon nom, au nom de Marguerite livrée par toi, au nom de Philippe, de Gautier que tu as voulu faire mourir, au nom de tous ceux que tu as précipités du haut de la Tour de Nesle, je te pardonne. Écoute. Dans quelque temps, dans une heure, peut-être, tu sentiras ta pensée se réveiller, tu pourras marcher et parler. Appelle, alors. Crie que tu n’es pas Gautier. Et quand on aura reconnu que tu n’es pas celui qui doit être supplicié, rejette sur moi toute la faute de cette évasion, réclame-toi du roi, ou du comte de Valois… Enfin, cela sera ton affaire. Adieu… Stragildo !… »
Stragildo, les yeux fous, fit un suprême effort pour crier, ou pour saisir Buridan… mais il était encore sous l’influence de la boisson… il vit Buridan saisir la torche… il le vit prendre Gautier par le bras… il les vit sortir !… Puis le bruit des pas s’affaiblit dans l’éloignement et il n’entendit plus rien…
*
* *
Tant que Buridan fut en vue du corps de garde sur la place du Martroi, il se contint ; mais lorsqu’il eut entraîné Gautier au fond des sombres rues où, à cette heure tardive, on ne voyait pas âme qui vive, il se jeta dans ses bras, et subissant alors le contrecoup de cette émotion violente qu’il avait domptée jusque-là, ce fut Gautier qui fut obligé de le soutenir.
« Libre ! haletait Gautier. Libre et vivant !
– Oui, dit Buridan, nous allons pouvoir fuir. De bons chevaux nous attendent au Roule.
« D’ici quelques jours, nous serons hors du royaume.
– Fuir ! gronda Gautier. Non pas. Je veux venger mon frère, Buridan !…
– Viens, viens, dit Buridan. Viens d’abord te remettre par le bon dîner qui t’attend. Et, pendant que tu mangeras, je te raconterai ce qui est advenu à Marguerite de Bourgogne et à Marigny. »
Gautier se laissa entraîner. Il vivait dans la stupeur de cette délivrance et, d’ailleurs, il mourait de faim. Dirons-nous l’étonnement, l’admiration et les cris de joie de Guillaume et de Riquet lorsqu’ils aperçurent Gautier d’Aulnay ?
Quant à Gautier, après s’être laissé admirer, contempler et caresser, il se mit à table et engloutit les provisions que Riquet, toujours prévoyant, avait entassées.
Puis, le géant tomba dans un profond sommeil qui se prolongea jusqu’au lendemain à midi et qui fut suivi d’une nouvelle attaque contre les victuailles renouvelées par Riquet.
Le reste de la journée se passa en récits, questions et réponses de part et d’autre.
Nous n’avons plus rien à ajouter en ce qui concerne ces hardis compagnons sinon qu’au bout du quatrième jour ils trouvèrent une occasion de sortir de Paris et purent gagner le hameau du Roule, où ils retrouvèrent Mabel, Myrtille et Tristan.
Myrtille pleurait… Tristan lui avait raconté la mort de son père, mais il avait eu soin de mettre cette mort au compte d’une attaque d’apoplexie qui avait emporté Marigny sans douleur. Myrtille ignora donc toujours que le ministre avait été pendu.
Cette nuit-là, les compagnons de Buridan achevèrent les préparatifs du départ, qui fut fixé au
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