La Reine Sanglante
s’avança en grommelant une menace, et, rudement, tira le rideau.
Au même instant, il fit en arrière un bond terrible et demeura pétrifié : ses cheveux se hérissèrent et il sentit que l’épouvante dans ce qu’elle a de surhumain s’abattait sur lui ; il tomba à genoux ; tout ce qu’il y avait de vivant en lui, toute son énergie, toutes ses forces, il les employa à détourner ou à baisser la tête ou à fermer les yeux ; mais il ne put y parvenir ; son regard, fou d’horreur, demeura rivé au spectacle d’horreur et de folie… Ce que voyait Valois, c’était Enguerrand de Marigny !…
Marigny était assis sur un fauteuil. Il avait revêtu les habits qu’il portait d’ordinaire. Son visage n’avait pas la pâleur des cadavres ; au contraire, il était légèrement teinté de rose ; ses yeux étaient ouverts, fixes et brillants. Sa main gauche s’appuyait à la poignée de sa dague ; sa main droite reposait sur son genou. Le fauteuil était placé sur une estrade assez haute, en sorte que les pieds de l’apparition se posaient sur le bord supérieur du coffre.
Valois garda quelques secondes l’espoir qu’il était le jouet d’une hallucination et qu’il allait se réveiller de cet effroyable cauchemar.
Il eut le courage de se lever, de s’avancer vers l’apparition. Il grelottait. Il claquait des dents. Mais il se disait :
« Je vais toucher ce fantôme, et alors je verrai qu’il n’existe pas, que ma main ne s’est posée que sur une ombre… »
Et sa main, en effet, se posa sur la main de Marigny. Dans cet instant, éclata, avec un retentissement sonore et prolongé, un bruit de cymbales et de gong. Valois l’entendit à peine. Il reculait jusqu’à l’angle le plus éloigné du caveau.
Marigny, pendu au gibet de Montfaucon, était assis dans ce fauteuil et le regardait.
« Maudit, tu es donc venu me voler après ma mort comme tu me voulais voler de mon vivant ?
– Que dit-il ? Oh ! Est-ce vrai ? Est-ce possible que je puisse ainsi toucher au fond de l’horreur ?
– Maudit, qu’as-tu fait de ton fils Buridan ?
– Il sait ! Oui, il doit tout savoir puisque les morts savent !… »
Enguerrand de Marigny parlait d’une voix basse, mais distincte. Et Valois éperdu, Valois, insensé d’épouvante, répondait. Il parlait aussi, mais sa voix à lui n’était qu’une suite de hoquets douloureux.
« Maudit, qu’as-tu fait de ma fille, que tu dénonças comme sorcière ?…
– Oh ! celle-là du moins m’a échappé ! Rassure-toi, Marigny ! Au nom de ta fille, pardonne, oh ! pardonne ! »
Il s’était écroulé sur ses genoux, il frappait les dalles, de son front.
« Te pardonner ! Moi ! Insensé !… Moi qui t’ai attiré ici pour te prendre, t’emporter dans les sombres régions du deuil éternel… »
Valois releva sa tête convulsée vers le spectre. Et il le vit faire un mouvement… Lentement, il le vit se dresser… Alors, dans sa tête, il y eut comme un fracas de choses qui s’écroulent ; il s’affaissa, le visage sur le sol, et demeura inerte, foudroyé par l’épouvante.
Mais Valois n’avait garde d’entendre. Il était bien évanoui.
Alors, de derrière le fauteuil élevé où le cadavre embaumé avait été assis et placé dans la position la plus favorable, surgit la tête pâle de Lancelot Bigorne qui jeta un regard méfiant du côté de Valois.
« Est-il mort ? grommela-t-il ; saint Barnabé me vienne en aide, je crois que, s’il me fallait continuer encore, je mourrais moi-même de peur. »
Il s’approcha de Valois et vit qu’il respirait encore.
Bigorne, à cette découverte, allait précipitamment regagner sa place, lorsque Valois, revenant à lui, se dressa sur ses genoux.
« Bon ! songea Bigorne. Il va tout découvrir à présent ! Tant pis, je serai obligé de le tuer !… »
Mais Valois, s’étant remis debout, semblait ne pas le voir, de même qu’il ne prêtait plus la moindre attention au cadavre de Marigny. Il se promenait dans le caveau, de long en large, d’un pas solennel ; la main droite crispée paraissait porter un objet imaginaire ; et, avec un long gémissement, il criait :
« Priez, gens de Paris, priez pour l’âme d’Enguerrand de Marigny pendu, quoique innocent, aux fourches de Montfaucon… »
Bigorne regarda Valois dans les yeux.
Et il vit que ces yeux étaient à jamais vides de lumière, comme des yeux d’aveugle. Valois n’était pas
Weitere Kostenlose Bücher