La Reine Sanglante
disais, je me contenterai d’admirer la grimace que tu vas faire à ton réveil. Et Dieu sait si tu fais de merveilleuses grimaces quand tu t’y mets ! J’attendrai… Hum ! Est-ce bien la peine d’attendre ? C’est que j’ai l’enfer dans le gosier, moi ! c’est que j’enrage de soif, moi ! Tout compte fait, il vaut mieux que je m’éloigne à l’instant. Les clefs des cadenas ! Voyons, où sont les clefs ? »
Simon Malingre fouilla Gillonne. Puis il fouilla avec plus d’impatience. Puis il la fouilla avec frénésie.
Et, enfin, l’évidence lui apparut dans toute son horreur, les clefs, ces clefs que Gillonne lui avait montrées, eh bien, elle ne les avait plus sur elle ! Soudain, il poussa un rugissement : il venait d’apercevoir les clefs !
Alors, il s’avança aussi loin qu’il put, aussi loin que la longueur des chaînes le lui permettait, mais toujours sans lâcher Gillonne qu’il tenait convulsivement contre lui.
Un soupir de terreur gonfla sa poitrine : si loin qu’il eût pu aller, il ne pouvait toucher encore à ces clefs.
Alors, le malheureux se mit à tirer sur les chaînes qui lui entraient dans les chairs.
Enfin, Simon Malingre comprit qu’il s’épuisait en efforts impuissants : il se retira, grogna une sourde imprécation, se ramena dans son angle, mais non sans empoigner Gillonne.
« Au moins, dit-il, tu crèveras avec moi ! »
Presque aussitôt, Gillonne rouvrit les yeux.
Un instant, elle parut stupéfaite de se retrouver vivante entre les mains de Simon.
Puis elle remarqua avec étonnement que Simon Malingre sanglotait.
« Qu’as-tu donc à pleurer, imbécile ? fit enfin Gillonne.
– Tu me demandes pourquoi je pleure ?… Peux-tu me demander cela alors que mon cœur est brisé de douleur ! Ah ! Gillonne, est-il possible que toi que j’aime tant, que toi, ma fiancée, tu m’aies condamné à une mort si affreuse ! Et ce qu’il y a de plus affreux, vois-tu, ce n’est pas de mourir, c’est de savoir que tu ne m’aimes pas.
– Comment vais-je mourir avec toi ? dis-moi un peu cela, mon petit Simon ? continua-t-elle à haute voix.
– Hélas ! puisqu’on va venir me prendre pour me brûler, puisque monseigneur le comte interrogera sans doute, ne devrai-je pas, cruelle nécessité ! ne devrai-je pas, moi qui ne mens jamais, lui dire toute la vérité et te déclarer ma complice ?
– Voyons, fit-elle enfin, est-il nécessaire que tu meures ?
– Hélas ! oui ! puisque j’ai trahi mon maître ! puisque j’ai introduit dans l’hôtel une bande de truands à qui je voulais livrer la petite Myrtille, car c’est bien là mon crime, n’est-ce pas, Gillonne ? Et ce crime, où saurais-je mieux l’expier que sur le bûcher que tu m’as préparé ? »
Gillonne frémit, car, dans cet instant, elle put supposer que Malingre, pour mieux la tuer, s’était résigné lui-même à la mort.
« Simon, cria-t-elle, mon cher Simon, je ne veux pas que tu meures !
– Mais, moi, je veux mourir ! » rugit Malingre.
« Comment, songeait Gillonne, ne m’a-t-il pas étranglée tout à l’heure ? Pourquoi n’a-t-il pas ouvert les cadenas avec les clefs que je lui ai montrées ? »
« Écoute, Simon, continua-t-elle tout haut, ce serait trop affreux que deux fiancés comme nous, qui s’aiment tant dans le fond, malgré leurs disputes, se condamnent bêtement à mourir ! Pardonne-moi, veux-tu, de t’avoir faussement dénoncé à monseigneur ! Pardonne-moi de t’avoir fait mettre ici ! Je te jure, Simon, c’était seulement pour te faire peur, comme tu m’avais fait peur, toi. Mais, avant le jour, je t’eusse délivré ! et la preuve, ajouta-t-elle, en regardant fixement Malingre, c’est que j’avais apporté les clefs du cadenas ! »
Simon essuya ses yeux d’une main, tandis que, de l’autre, il continuait à maintenir fortement Gillonne.
« Dis-tu vrai ? fit-il, tu consentirais à me délivrer ?
– Écoute-moi attentivement et nous allons sceller une réconciliation définitive, car j’ai un projet qui doit infailliblement nous enrichir, sans compter nos projets sur Buridan.
– Je t’écoute.
– Oui, mais jure-moi que jamais plus tu ne tenteras rien contre moi.
– Je te le jure.
– En ce cas, dit Gillonne, nous sommes sauvés tous deux, et cette nuit qui devait voir notre mort sera la nuit de nos fiançailles. Nous sommes désormais liés l’un à l’autre, car moi-même, je te jure
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