La Reine Sanglante
le nom, dis-moi franchement si ta résolution de te venger est demeurée la même.
– La même ? Non. Car tant qu’il ne s’agissait que de l’officier, je ne songeais qu’à le tuer, tandis que cette reine, voyez-vous, je voudrais, avant de la faire mourir, la voir souffrir un peu de ce qu’elle m’a fait souffrir, à moi. Mais comment puis-je concevoir que je pourrais me venger de la reine de France ? Comment l’approcher ? Comment pénétrer jusqu’à elle ? Je sais trop bien comment le Louvre est gardé.
– Tu n’auras ni à la frapper, ni même à t’approcher d’elle. Et cependant, tu la tueras plus sûrement que d’un coup de dague au cœur.
– Comment ferais-je donc ?
– Tu m’as dit qu’un gentilhomme t’avait rencontré et t’avait chargé de remettre un petit paquet à la reine ?
– C’est la vérité pure.
– Te rappelles-tu toujours, te rappelleras-tu, quand il en sera temps, le visage et le nom de ce gentilhomme ?
– Son nom, dit le Suisse, c’est Philippe d’Aulnay. Et quant à son visage, c’était là une de ces figures dont, malgré soi, on garde l’image dans le souvenir.
– Bien ! dit Mabel, en fouillant dans son aumônière : voici le paquet que Philippe d’Aulnay t’avait chargé de remettre à la reine, qui devait t’en récompenser. Tu as vu la récompense imaginée par Marguerite de Bourgogne. »
Le Suisse frissonna. Il prit le paquet, qui était exactement tel que Philippe d’Aulnay le lui avait remis.
« Ouvre-le ! » dit Mabel.
Wilhelm Roller obéit, et murmura :
« Deux pierres précieuses !
– Deux émeraudes, dit Mabel. Eh bien, quand il en sera temps, c’est avec ces deux émeraudes que tu pourras te venger sans que rien au monde puisse sauver celle qui a imaginé pour toi la récompense que tu sais. Garde-les, garde-les précieusement. Et lorsqu’il en sera temps, il suffira que tu ailles trouver quelqu’un que je te dirai. Et si ce quelqu’un te demande alors qui t’a remis ces deux émeraudes, que répondras-tu ?
– Philippe d’Aulnay.
– Et si ce quelqu’un te demande où tu as rencontré Philippe d’Aulnay, que répondras-tu ?
– Près de la Tour de Nesle ?
– Cela suffit ; maintenant, tu n’as plus qu’à attendre. »
Et Mabel, après un dernier geste, s’éloigna, descendit l’escalier, sortit du Logis hanté, tandis que le Suisse, plongé dans une terrible rêverie, cherchait à comprendre à quel effroyable drame il se trouvait mêlé.
IV
FIANÇAILLES DE GILLONNE ET DE SIMON MALINGRE
Au moment même où Gillonne, triomphante, annonçait à Simon Malingre qu’elle allait s’emparer de son trésor enfoui au fond de la Courtille-aux-Roses, Simon, allongeant les bras, les avait subitement refermés, et Gillonne s’était trouvée prise au piège.
Simon Malingre partit d’un éclat de rire effrayant, s’accroupit dans l’angle où il était enchaîné et plaça Gillonne en travers de ses genoux. Il la maniait comme une plume, ses forces décuplées à la fois par le désespoir et par la joie. Gillonne, dans une suprême convulsion, parvint à redresser la tête, saisit le bras de Simon dans ses dents, et ces dents, elle les y incrusta avec frénésie.
Simon éprouva une atroce souffrance, mais il continua de rire. Seulement, son poing demeuré libre se leva et s’abattit comme une masse sur le crâne de Gillonne.
Gillonne eut un grognement bref et perdit connaissance.
« Là ! fit Simon, comme ça, tu te tiendras tranquille, vieille guenon. Voyons, que pourrais-je faire bien de toi ? Écoute, ma chère. Tu ne m’entends pas ? Ça ne fait rien, écoute tout de même ! Sais-tu ce que je vais faire ? Je vais prendre les clefs des cadenas que tu as eu la gentillesse d’apporter, ouvrir ces mignons cadenas si joliment travaillés et me débarrasser des chaînes. Après quoi, petite guenon, je te mettrai simplement à ma place, enchaînée là où je suis, les bons cadenas bien fermés, et puis, avant de m’en aller, j’attendrai que tu te réveilles pour voir un peu la figure que tu feras. Voilà ce que j’appelle une bonne farce. Qu’en dis-tu, ma douce fiancée, Gillonne d’enfer ? »
En parlant ainsi, Malingre riait frénétiquement et secouait avec fureur Gillonne, qui n’avait garde de répondre, vu qu’elle était sans connaissance.
« C’est donc toi, continua Malingre, qui seras grillée à ma place. Pour le quart d’heure, comme je te le
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