La Reine Sanglante
l’instant.
La femme s’avançait jusqu’à lui.
Valois, les traits décomposés, l’avait reconnue, car il murmura :
« Est-il donc bien vrai que tu es sorcière ou fée ? Toi que j’ai vue morte à Dijon, et que je vois vivante ! Toi qui as été enfermée dans un cabinet sans issue et qui en es sortie par je ne sais quel maléfice ! Toi enfin qui as pu pénétrer dans cet hôtel et arriver jusqu’à cette salle où nul, sous peine de mort, ne peut entrer sans y être mandé par moi ! Viens-tu donc du fond de l’enfer et au nom de Satan ?…
– Je viens au nom de Dieu, répondit Anne de Dramans d’une voix très calme. Je viens, Valois, te rappeler le pacte qui nous unissait. »
« Un pacte nous unissait, reprit-elle. Il fallait une sorcière à jeter dans les cachots du Temple, une malheureuse à brûler vive. Cette jeune fille qui était condamnée, qui devait mourir, il me plaisait à moi qu’elle vécût. Lorsque tu es venu au logis du cimetière des Innocents, je me suis offerte pour remplacer celle que tu cherchais. Tu as accepté, tu as juré que Myrtille serait sauve. Lorsque tu m’es venu voir dans le cachot du Temple, où je me suis révélée à toi, je t’ai prévenu que je trouverais le moyen de savoir si tu avais tenu ton serment. Et lorsque j’ai su que, cette fois encore, tu étais parjure, ma patience s’est lassée. Je suis sortie du Temple. Je suis sortie du cabinet devant lequel veillaient les gardes du roi. J’ai franchi les fossés et les murailles de ton manoir et je suis venue te demander : « Valois, qu’as-tu fait de Myrtille ? »
Si Valois avait pu garder un peu de sang-froid, il se fût dit, dans sa superstition même, qu’il était étrange qu’une sorcière ou une fée eût besoin de l’interroger pour savoir ce qu’était devenue la jeune fille.
« Il te reste, reprit Mabel, un dernier moyen de sauver ton âme et ton corps. Cette jeune fille est ici, dans ton hôtel. Rends-la-moi, et je te jure par le Dieu vivant que tout le reste sera pardonné, oublié. »
Valois tremblait convulsivement.
« Au contraire, continua Mabel, si tu te refuses à cette réparation, je t’assigne à comparaître devant Dieu, ton dernier juge, et cela dans le délai de trois jours.
– Et si je te rends Myrtille !
– Par le Dieu vivant, répéta Mabel, tu es sauvé, dans ton corps et dans ton âme !…
– C’est bien. Que tu sois un être vivant ou une simple illusion, j’ai foi dans ta parole. Écoute et regarde ! »
Charles de Valois s’élança vers la porte. Mais, avant de l’ouvrir, il se tourna vers Mabel comme pour la prendre à témoin de sa bonne volonté.
Et il ne vit plus Mabel à la place où il l’avait laissée.
Familiarisé déjà avec les pensées surnaturelles, Valois ne fut pas étonné.
« La fée s’est rendue invisible, songea-t-il, mais elle est là qui guette, écoute et regarde ! »
Il n’eut pas le temps d’en penser plus long : à ce moment, le capitaine des archers du manoir ouvrait la porte, tout pâle, tout tremblant, sans oser proférer un mot.
« Eh bien, gronda Valois. Cet homme ? Ce Malingre ?…
– Nous l’avions mis dans un cachot ; il était enchaîné par les chevilles et les poignets. À moins de supposer que l’hôtel est hanté et qu’un démon ait enlevé votre valet, je n’y puis rien comprendre car je viens moi-même d’entrer dans le cachot de Malingre… Eh bien, Malingre n’y est plus : il ne reste que les chaînes.
– Bien ! fit Valois avec ce même calme qui avait surpris le capitaine. Qu’on aille donc me chercher Gillonne et qu’on me l’amène à l’instant ! »
Près d’une demi-heure s’écoula, sans que le comte osât faire un mouvement.
Enfin l’officier revint et sa réponse fut :
« Monseigneur, Gillonne a disparu ! »
Valois fut agité d’un tressaillement. Mais, à la grande surprise du capitaine, il ne manifesta aucune colère.
« C’est bien, répéta-t-il. Maintenant, écoute : tu te rappelles bien l’endroit où nous nous sommes heurtés à Buridan, l’autre nuit ?
– Certes, monseigneur ! Depuis quelques jours, personne n’osait y pénétrer, vu la défense que vous en aviez faite.
– Ce bâtiment a-t-il été fouillé ?
– Oui, monseigneur. »
Cette fois, Valois pâlit.
« La rencontre, reprit-il d’une voix sourde, a eu lieu devant la porte d’une chambre dans laquelle nous entendions la voix d’une jeune
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