La Reine Sanglante
étaient parvenues au logis du cimetière des Innocents. Le premier soin de la mère de Buridan fut de barricader la porte d’entrée. Puis elle vint s’asseoir près de la jeune fille, que cette scène avait brisée.
« Je n’avais pas de mère, murmura-t-elle enfin, et je n’ai plus de père…
– Cet homme est dans la main de Dieu, dit Mabel avec solennité. Où va-t-il ? À quelle catastrophe ?… Je ne sais… mais il est marqué, compté, pesé…
– Ô mon père…
– Il faut t’habituer à cette pensée que ton père est mort le jour où, pour la dernière fois, tu as vu Claude Lescot… Et quant à Enguerrand de Marigny, tu l’as entendu !… Et quant à celle qui est ta mère… tout à l’heure, à midi, quelqu’un va venir ici qui pourra t’en parler.
– Quelqu’un ? » demanda Myrtille.
Mabel ne répondit pas. Elle s’absorbait en sa rêverie.
À midi, celui qu’elle attendait ne vint pas : le malheureux Roller n’avait garde de venir ; il avait, comme on dit, reçu son compte. S’il était mort ou s’il lui restait chance de vie, c’est ce que nous verrons en temps et lieu.
Mabel sortait des ténèbres de la haine.
Elle venait de retrouver son fils. Elle tenait dans sa main la main de celle pour qui son fils vivait : elle entrait dans la lumière.
Dans sa rêverie, elle s’interrogeait avec étonnement : elle constatait que cette haine, qui jusqu’alors avait été sa raison d’être, passait à l’arrière-plan de ses préoccupations. Elle se surprenait à penser que la reine était peut-être moins criminelle que ne la faisaient les apparences.
Une sorte d’indifférence lui venait.
La question vitale, chez elle, n’était plus la vengeance.
Que Marguerite de Bourgogne reçût son châtiment ou continuât à vivre dans la puissance et la gloire, Mabel comprenait que ce n’était plus là pour elle-même une question de vie ou de mort.
Pendant les deux jours qu’elle passa au logis du cimetière, elle songea à ces choses sans prendre de résolution. Myrtille reprenait courage. Elle aussi renaissait à la vie.
Le soir du deuxième jour, Mabel sortit : sans doute elle allait aux renseignements. Lorsqu’elle rentra, ses yeux brillaient. Et comme Myrtille l’interrogeait, elle se contenta de lui dire :
« Je crois maintenant que nous pouvons aller attendre à Montmartre, où Buridan ne tardera pas à nous rejoindre… C’est ce que nous ferons demain matin.
À l’aube, les deux femmes étaient prêtes à partir.
Mabel songeait à Wilhelm Roller, qui n’avait pas reparu.
« C’est donc que je ne dois plus m’occuper du sort de Marguerite… se dit-elle. Les papiers sont là… Les papiers accusateurs qui prouveront au roi l’infamie de Marguerite. Dois-je les détruire ? Pourquoi ? Dois-je les emporter ?… Non ! Ce que je dois faire, c’est de ne pas m’en mêler !… Les papiers resteront où ils sont ! Si Roller vient et qu’il les trouve… eh bien, Marguerite sera punie ! S’il ne vient pas, ou si, étant venu, il ne les trouve pas, eh bien, c’est que Marguerite est pardonnée par Dieu comme elle l’est peut-être par moi ! Laissons-la dans la main de Dieu ! »
Mabel et Myrtille se mirent donc en route. Mabel avait acheté la veille un âne qu’elle couvrit elle-même de son double bât avec beaucoup de dextérité. Elle prit Myrtille dans ses bras et l’assit sur un des côtés du bât ; sur l’autre côté, elle plaça un sac contenant divers objets et notamment une cassette très lourde.
La cassette était pleine d’écus d’or.
Ce fut ainsi que Myrtille sortit de Paris.
Deux heures plus tard, la mère et la fiancée de Buridan arrivaient au village de Montmartre, composé de quelques misérables chaumières agenouillées autour d’une chapelle. Ce fut dans une de ces chaumières qu’elles s’installèrent. Et comme, par-dessus la cime des bois qui couvraient les pentes, on apercevait au loin les remparts et les tours de Paris, Myrtille chercha des yeux le point probable où se trouvait Buridan.
Mais elle ne vit qu’un hérissement de toits aigus, et, au loin, les grosses tours du Louvre, et plus loin encore une tour isolée qui semblait s’estomper dans une buée grise comme un fantôme du fond d’un rêve.
« Mère, quelle est cette tour étrange et solitaire ? »
Mabel tressaillit et répondit :
« La Tour de Nesle ! »
XIV
LA BATAILLE
Le capitaine Buridan avait fait
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