La Reine Sanglante
cria :
« Arrière, chiens !…
– Sus ! Sus ! » gronda la voix tumultueuse des archers.
Et on vit, oui, on vit les masses de truands reculer sous son regard !
Un éclat de rire monta des rangs seigneuriaux.
« Hourra ! Hourra ! » hurlèrent les archers, qui eurent un mouvement pour s’élancer en tumulte.
Au loin, le roi trépignait de joie.
Valois, livide de rage, assistait à ce triomphe qui pouvait rendre à son rival toute sa gloire et sa force.
Marigny marchait toujours ; devant lui, les ribauds, les courtauds, les piètres, tout le gibier de potence, comme affolé, refluait en grondant :
« Arrière, chiens ! »
Ils reculaient, ils se débandaient… Ils poussaient d’effroyables jurons, c’est vrai, mais ils reculaient, se bousculaient, rentraient en désordre dans la Cour des Miracles…
Et Marigny entrait dans la Cour des Miracles, où alors les lamentations, les cris de miséricorde retentirent de toutes parts !… Et derrière Marigny, les seigneurs !… Et derrière les seigneurs, deux mille archers…
Les archers se mettaient en bataille au milieu de la cour…
La révolte était vaincue !…
« Que ceux qui veulent vie sauve viennent se rendre à merci ! » cria Marigny, d’une voie puissante.
À ce moment, un bruit formidable retentit dans la rue des Francs-Archers.
Aussitôt après, et coup sur coup, ce bruit de tonnerre se renouvela deux ou trois fois, puis cela se mit à gronder sans interruption en même temps que, du fond de la rue s’élevait un nuage épais.
Dans le même instant, mendiants, piètres, capons, courtauds, truands, tout ce monde exorbitant qui avait semblé fuir devant le fouet de Marigny, tous ces êtres déguenillés, sordides, farouches, qui s’étaient jetés dans toutes les allées, se terrant comme une immense famille de lièvres surpris par le chasseur, hommes, femmes, tous armés de haches, de piques, de rapières, de poignards, tous reparaissaient, se ruaient sur la troupe de Marigny, tourbillonnaient, jetaient de féroces imprécations dont chacune ponctuait un coup terrible porté à une poitrine, à un crâne… Ils étaient là une foule rugissante de démons, quatre ou cinq mille, peut-être, et cela formait comme un vaste tourbillon enserrant de ses replis les malheureux archers qui jetaient leurs armes, les seigneurs immobiles et pâles, attendant le coup de mort, et, enfin, Marigny, stupéfié d’horreur.
La rue des Francs-Archers était barrée.
Ou plutôt la rue des Francs-Archers n’existait plus dans la partie qui avoisinait la Cour des Miracles.
Les maisons, des deux côtés, n’étaient plus qu’un amas de décombres.
Cela formait un énorme entassement de pierres, de poutres, de plâtras, de tuiles, comme si un cyclone eût ravagé ce coin de Paris.
On ne pouvait plus entrer dans la Cour des Miracles.
On ne pouvait plus en sortir.
Enguerrand de Marigny, cinquante chevaliers et seigneurs, deux mille archers et officiers étaient prisonniers des truands…
Ce qui s’était passé, le voici :
Cinq ou six maisons, de chaque côté de la rue, avaient été minées, sapées, démolies dans leurs fondations, pendant qu’une troupe de cinq à six cents truands, sous les ordres du duc de Thunes, tenait tête aux archers pendant deux jours, répondait aux jurons par des menaces et aux insultes par des imprécations. Donc, tandis que les hommes du duc de Thunes amusaient ainsi les archers du roi, tandis que les troupes royales se concentraient peu à peu, tandis que les chefs décidaient de porter leur principal effort dans cette rue, où, pensaient-ils, les rebelles n’avaient pas eu le temps de dresser une barricade, Buridan s’occupait de ce travail souterrain.
Les maisons minées furent étayées à l’intérieur par des poutres.
Au pied de chaque poutre, une longue corde fut attachée.
Lorsque Marigny fut passé, suivi des chevaliers et des compagnies, dont il avait le commandement, Buridan sonna du cor.
C’était le signal.
Dix hommes, attelés à chaque corde, tirèrent ensemble…
Les poutres tombèrent… Les murs s’abattirent, les toits s’effondrèrent… La barricade était formée par l’entassement des pierres et débris qui jonchaient la rue sur une hauteur de quinze pieds.
Seulement, cette barricade, au lieu d’être formée avant, venait de se dresser après.
Buridan entra dans la Cour des Miracles, suivi de Lancelot Bigorne et de Gautier d’Aulnay.
D’un bond, il
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