La Reine Sanglante
sauta sur l’estrade voisine de l’étendard des truands.
Là, il sonna du cor.
Une volée de flèches siffla autour de lui sans l’atteindre.
« Abattez-le ! hurla Marigny. Ma fortune à qui tuera cet homme ! »
Vingt archers s’élancèrent. Mais autour de l’estrade, ils se heurtèrent à une masse de mendiants aux figures terribles : c’était la garde d’honneur du capitaine Buridan.
Buridan sonna une troisième fois.
Dans le même instant, sur tous les points de la Cour des Miracles, les haches tombèrent, les poignards furent rengainés, les piques s’abaissèrent, le tumulte s’apaisa…
On n’entendit plus que le gémissement des blessés qui persistait, comme ce bruissement d’écume après le coup de tonnerre de la vague venant frapper les rochers.
La bataille était finie.
Chaque seigneur était entouré de truands.
La foule des archers valides était poussée dans un coin.
Buridan descendit de l’estrade, marcha à Marigny et le salua. Puis, il se rapprocha, jusqu’à ce qu’il fût tout près, et pâle, dans un souffle, il murmura :
« Monseigneur, votre fille m’a ordonné de vous faire grâce.
– Chien de truand ! gronda Marigny.
– Monseigneur, reprit Buridan, voulez-vous faire grâce à votre fille ?…
– Si elle était là, je la poignarderais ! rugit Marigny.
– Monseigneur, continua Buridan, voulez-vous me donner pour épouse votre fille Myrtille ?
– Sois maudit ! gronda Marigny.
– Eh bien, je la prends ! » dit Buridan.
XV
LES DEUX ROIS
Deux heures après la bataille, dans ce logis où Marigny avait établi son quartier général et où il avait revu sa fille et Mabel, dans cette même salle où avait eu lieu la scène à laquelle nous faisons allusion, Louis Hutin, Valois, Châtillon et quelques autres tenaient conseil.
La douleur du roi était terrible, et, après s’être répandue en gestes extravagants s’était terminée par une violente crise de fureur.
Louis, abattu, écoutait les conseils de ses familiers, et surtout de Valois, lesquels se résumaient en un seul : lever le siège !
« Sire, dit Châtillon avec fermeté, vous ne pouvez condamner ni vos compagnons prisonniers, ni la ville de Paris qui subirait un effroyable désastre : il faut nous retirer ! »
À ce moment, des pas précipités montèrent l’escalier.
« Laissez entrer ! dit Louis en prêtant l’oreille. C’est peut-être une nouvelle. »
Châtillon courut ouvrir la porte, jeta un regard dans l’escalier et revint, tout effaré.
« Sire, dit-il, c’est un de nos amis prisonniers : Malestroit.
– Mon brave Geoffroy ! s’écria joyeusement le roi. Qu’il entre ! Qu’il entre !
– Me voici, Sire ! dit Geoffroy de Malestroit, en pénétrant dans la pièce. Mais je dois prévenir le roi que je suis accompagné par deux ambassadeurs de messieurs les truands et que j’ai répondu de leur vie.
– Tu as promis cela, Malestroit ?
– J’ai promis bien plus ! J’ai promis que ces deux hommes pourraient parler devant le roi.
– Et à qui as-tu promis, Malestroit ?
– Au capitaine Buridan, Sire. Et le capitaine Buridan m’a dit :
« – J’ai foi en votre promesse, sire de Malestroit, j’ai foi dans la magnanimité du roi. »
« Ayant promis, Sire, je dois déclarer que si j’ai eu tort, si le roi ne ratifie pas mes paroles, je retourne me rendre prisonnier à merci. »
Malestroit se retira de quelques pas et attendit, les bras croisés. Le roi devînt pensif.
« Un gentilhomme doit tenir parole, dit Louis, et, puisque tu as engagé la mienne, si étrange que soit l’ambassade, je recevrai ces hommes. »
Geoffroy de Malestroit alla à la porte et fit un signe.
Deux hommes entrèrent, s’avancèrent et s’inclinèrent devant le roi qui, quelques instants, les contempla silencieusement. Ils ne semblaient ni fiers de leur victoire, ni intimidés par l’assistance.
« Qui es-tu ? demanda enfin Louis Hutin en s’adressant à l’un d’eux.
– Le duc de Thunes ! répondit l’homme laconiquement.
– Et toi ? reprit le roi en s’adressant à l’autre.
– On m’appelle Hans, roi d’Argot.
– C’est toi le roi du royaume d’Argot ? fit Louis. Et si je te faisais pendre ? »
Hans sourit et répondit :
« J’espère pouvoir vous prouver tout à l’heure combien peu je crains la mort. Mais je vous préviens loyalement que si vous me faites pendre, il pourra en résulter
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