La Reine Sanglante
morceaux qu’elle jeta.
Buridan poussa un cri de joie.
« Tu vois ! s’écria Mabel, haletante d’espoir.
– Venez ! ma mère ! venez ! » répondit Buridan qui, entraînant Mabel, lui fit monter l’escalier jusqu’en haut et la poussa dans la chambre de Myrtille.
Buridan désigna la jeune fille, à demi prostrée encore.
« Ma mère, dit-il, si vous voulez que je vive, si vous voulez me donner la force de passer avec mes compagnons à travers toute une armée, voilà celle qu’il faut sauver !… »
*
* *
Une heure plus tard, Mabel et Myrtille franchissaient l’une des barricades élevées par les truands et entraient dans la rue aux Piètres.
Mabel avait le visage aussi calme et indifférent que lorsqu’elle se trouvait près de Marguerite dans le Louvre ; il eût été impossible de saisir chez Myrtille un indice de crainte ou d’émotion. Elle allait comme en rêve… elles étaient en présence de la première ligne d’archers.
« Holà, ribaudes ! ricana le chef du poste. Halte !… »
Mabel marcha à l’officier qui venait de parler ainsi.
« Vous venez d’insulter deux femmes appartenant à la reine. Votre nom ?
– Ça, fit l’officier, interloqué, es-tu folle, femme ?… Holà, qu’on arrête…
– Votre nom ? » répéta Mabel en mettant sous les yeux de l’officier le parchemin royal.
L’officier pâlit… Il s’inclina, se courba et balbutia :
« Je ne savais pas… Par grâce, n’exigez pas mon nom et pardonnez-moi…
– C’est bien. Je pardonne. Faites-moi escorter jusque hors des lignes…
– Dix hommes d’escorte ! cria l’officier en respirant. Et qu’on veille à ce que pas un mot, pas un regard ne déplaise à ces deux femmes jusqu’à ce qu’elles soient hors des lignes ! Sans quoi, les fers !… »
Tout à coup, Mabel, à l’un des nombreux détours de la rue, comprit qu’elle se trouvait dans le voisinage d’un chef important. Et, en effet, là, bien que les hommes d’armes fussent plus nombreux, un grand silence régnait dans la rue.
« Hâtez le pas, dit-elle au chef de l’escorte, car la reine attend la réponse que je dois lui apporter. »
À ce moment, des trompettes sonnèrent.
Plusieurs officiers sortirent et, parmi eux, un homme de haute stature, à la physionomie rude, aux yeux sombres.
« Marigny !… murmura Mabel.
– Quelles sont ces deux femmes ? demanda-t-il. Pourquoi ont-elles une escorte et d’où viennent-elles ? »
D’un geste prompt comme l’éclair, Mabel remit au chef de l’escorte le parchemin royal et lui glissa à l’oreille :
« Répondez. Cinquante écus d’or pour vous si ce chef ne vous retient pas longtemps. C’est de la part de la reine.
– Monseigneur, dit le soldat en déployant le parchemin, ces femmes ont un laissez-passer et elles sont attendues au Louvre dans un instant. »
Marigny jeta un coup d’œil sur le parchemin et ordonna qu’on laissât passer les deux inconnues.
Dans le même instant, ses yeux se reportèrent sur le visage de Mabel. Il tressaillit. Son visage devint très pâle. Il fit deux ou trois pas rapides.
« Mabel ! » fit-il, sourdement.
Dans ce moment, un soupir désespéré gonfla le sein de Myrtille. Elle se renversa dans les bras de Mabel. Sa capuche retomba légèrement…
« Damnation ! gronda Enguerrand de Marigny, c’est Myrtille ! »
En même temps, dans la foule des archers, stupéfaits, avec une sorte de cri où il y avait une joie furieuse et un défi suprême, il saisit sa fille dans ses bras puissants, la souleva et l’emporta évanouie dans l’intérieur du logis.
« Malédiction ! » rugit Mabel.
Et elle-même se jeta d’un bond à la suite de Marigny.
Celui-ci avait déposé Myrtille sur une sorte de large canapé rembourré de coussins, et, sans plus s’occuper d’elle, au bruit que fit Mabel en entrant, il se retourna et, lançant à celle-ci un regard foudroyant, marcha sur elle, terrible, presque auguste, car, dans cette minute, il portait sur sa physionomie le double sentiment de la joie et de la douleur paternelles à leur suprême degré.
« Marigny, dit Mabel, regarde derrière toi. »
Marigny se retourna d’instinct et vit Myrtille qui, à pas chancelants, les mains jointes, marchait vers lui.
« Marigny, reprit Mabel, demande à ta fille si elle veut rester près de son père ou suivre Mabel la maudite. »
Le poing retomba lentement et Marigny, hagard,
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