La Reine Sanglante
balbutia :
« Qu’est-ce à dire ?… Elle ne t’entraîne donc pas de force ? Tu la suis donc volontairement ?… Parle !… Je comprends, ajouta-t-il tout à coup en se frappant le front, Marguerite de Bourgogne, c’est ta mère ! et, pauvre enfant, tu veux rejoindre ta mère !… Myrtille, mon enfant chérie, oublie un instant que c’est le premier ministre qui te parle. Rappelle-toi seulement que je suis encore pour toi Claude Lescot, que tu as tant aimé. Rappelle-toi comme tu entourais mon cou de tes deux bras et comme avec tendresse tu me disais : « Père, quand serez-vous pour toujours près de votre fille ?… » Et maintenant, Myrtille, dis-moi, est-ce à Marguerite de Bourgogne que tu veux aller ? Ou bien veux-tu accorder à mon cœur meurtri un peu de ta pitié ?… Myrtille, demeures-tu près de ton père, ou suis-tu Mabel, la détestable exécutrice des ordres de ta mère ?… »
Myrtille se mit à genoux, saisit une main de Mabel, et prononça simplement :
« Père, c’est la mère de Buridan… »
Enguerrand de Marigny chancela. Il porta la main à son front et dans sa gorge râla un sanglot qui se termina par un éclat de rire effrayant.
« C’est dans l’ordre, fille de Marguerite de Bourgogne ! Ah ! c’est là la mère du truand ! ajouta-t-il avec un éclat de rire. Eh bien, j’aurais dû le deviner ! À tel fils, telle mère ! La mère s’est faite l’infamie ! le fils s’est fait le vol ! La mère est l’humble et ignoble servante d’une ribaude couronnée, le fils guette les passants aux détours des chemins pour les détrousser et les filles au fond des courtilles pour les enjôler !… Eh bien, par les plaies du Christ, je ne suis plus ici le père qui pleure et supplie, je suis le ministre qui ordonne et fait justice ! Mère de Buridan, je t’arrête ! Et ton crime, c’est d’avoir pour fils le chef des truands. Fille de Marguerite de Bourgogne, je t’arrête ! Et ton crime, c’est… »
À ce moment, et tandis que Marigny, ivre de rage, balbutiait et levait ses deux mains crispées, comme pour saisir à la fois Mabel et Myrtille, à ce moment, disons-nous, un bruit d’éclatante fanfare monta dans la rue.
Une rumeur lointaine grandit et s’approcha rapidement, apportant jusqu’à Mabel les cris mille fois répétés de : « Vive le roi ! »
Marigny n’entendait rien. Mais Mabel avait entendu.
D’un bond, elle fut à la fenêtre.
« Eh bien, cria-t-elle, puisqu’on arrête la fille de Marguerite de Bourgogne, il faut que le monde sache ! Il faut que le monde épouvanté apprenne que la reine de France a été la maîtresse d’Enguerrand de Marigny ! Il faut que le roi sache que son premier ministre arrête la fille de son épouse ! »
Marigny demeura hébété, comme frappé de la foudre.
« Le roi !… »
Dans l’escalier retentit le pas de Louis Hutin et de son escorte.
« Voici le roi, dit Mabel à haute voix. Eh bien, monseigneur, faut-il que je demande à l’époux de Marguerite la grâce de la fille d’Enguerrand de Marigny ?
– Silence, femme ! rugit Marigny.
– Laissez passer, monseigneur, ou, par le Dieu que vous invoquiez tout à l’heure, le roi va savoir.
– Silence ! bégaya Marigny, dont les cheveux se dressaient sur la tête.
– Sommes-nous libres ? Je me tais. Sinon… »
Marigny courut à la porte, l’ouvrit, ou plutôt la défonça d’un coup de pied.
Et, d’une voix pareille à un gémissement, il cria :
« Ordre du roi ! laissez passer… »
Mabel avait saisi, empoigné Myrtille dans ses bras, et, farouche, terrible, flamboyante, toute droite, elle descendait l’escalier, emportant la fiancée de son fils…
« Le roi ! » annonça une voix éclatante à l’autre porte.
Marigny, le visage décomposé, la démarche chancelante, alla à la rencontre de Louis Hutin.
« Sire, balbutia-t-il en se courbant plutôt comme un homme accablé sous le poids d’un malheur que comme un seigneur qui salue le roi.
– Eh bien, Marigny, fit Louis Hutin de sa voix joyeuse, vous avez entendu, n’est-ce pas ? que mes braves demandent bataille. Sommes-nous prêts ?
– Oui, Sire, nous le sommes ! répondit Marigny en se redressant et, cette fois, d’un accent si terrible que chacun songea qu’il allait y avoir une fameuse capilotade de truands. Nous sommes prêts, et malheur aux rebelles !…
– Bataille, donc ! » cria Louis Hutin.
Mabel et Myrtille
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