La Reine Sanglante
que de songer à aller retrouver sa mère et sa fiancée, il voulait tenir parole.
La difficulté était terrible. En effet, tant que les compagnons resteraient à la Cour des Miracles, ils étaient en sûreté. Mais, hors des limites du refuge solennellement confirmé par Louis X, ils redevenaient les condamnés à mort dont la tête était mise à prix.
En somme, ils étaient prisonniers dans la Cour des Miracles aussi bien qu’ils l’eussent été dans une forteresse. Nous reviendrons d’ailleurs sur ce conseil tenu dans le logis du capitaine Buridan – d’autant plus capitaine que Hans était mort ! – car, pendant cet entretien, se passa un événement dont nous aurons à rendre compte.
Pour le moment, disons seulement que Lancelot Bigorne avait eu une entrevue avec le duc de Thunes, lequel lui avait répété les paroles du roi Louis à son sujet.
Bigorne avait donc écouté toute la discussion. Puis il s’était dit :
« Puisque maître Buridan est assez fou pour ne pas prendre tout simplement le bonheur qui s’offre à lui, puisqu’il refuse de quitter Paris avant d’avoir sauvé cet autre fou qui s’appelle Philippe d’Aulnay, je ne vois qu’un moyen d’arranger la situation, c’est de devenir fou moi-même. »
XVI
OÙ LANCELOT BIGORNE DEVIENT FOU
Ce n’était pas une mince tentative que d’entreprendre de sauver Philippe d’Aulnay. Et, d’abord, était-il vivant ? Ensuite, où était-il ?
Ces questions insolubles, Lancelot Bigorne avait entrepris de les résoudre. Son plan était d’ailleurs d’une belle simplicité : il consistait à se rendre au Louvre, à gagner la confiance du roi déjà bien disposé à son égard, et là, au centre même des renseignements, il saurait tout ce qu’il voulait savoir. La difficulté était d’arriver au Louvre sans encombre, c’est-à-dire de passer à travers les lignes des sentinelles qui cernaient la Cour des Miracles.
– Adieu, compères, dit Lancelot à Guillaume et à Riquet.
– Comment, adieu ?…
– Oui, je m’en vais. Je m’ennuie ici. J’en ai assez de voir des visages de farfadets et de gnomes, des bossus, des aveugles, des manchots ; je veux voir de près une figure de roi, et je m’en vais de ce pas au Louvre.
– Il est fou ! glapit Riquet.
– C’est bien ce que j’espère devenir », dit Lancelot.
Et il partit sans plus d’explications. Enfilant donc la rue Saint-Sauveur, il essaya d’abord de se diriger vers la rue Tirevache dans l’intention de faire une station chez Noël-Jambes-Tortes. La rue, hors même des limites du royaume d’Argot, était parfaitement paisible. Bigorne aperçut bien cinq ou six archers qui jouaient au fond d’un cabaret, mais les archers ne semblèrent pas l’avoir vu.
Bigorne se frotta les mains et continua de s’avancer plus vivement.
Seulement, un gros homme, à figure réjouie, qui venait de le dévisager, entra dans le cabaret où se trouvaient les archers.
« Eh bien, se disait Lancelot, où sont les sentinelles ? Où sont les patrouilles ? Décidément, il est plus facile qu’on ne croit de sortir de la Cour des Miracles ! »
Tout à coup, il éclata de rire.
« Et le digne Simon Malingre ? Et la digne Gillonne ? excellents amis que j’ai par ma foi oubliés dans le logis que je leur ai généreusement octroyé. Diable ! pourvu qu’ils ne meurent pas de faim !… Au fait, s’il mouraient de faim, autant cette mort-là qu’une autre ! N’importe, je voudrais bien…
– Arrête ! » fit une voix près de lui.
Lancelot Bigorne bondit et essaya de filer. Mais cinq ou six poignes robustes le saisirent et le maintinrent vigoureusement. En un clin d’œil, il eut les mains attachées au dos.
« Suis-nous ! reprit rudement la même voix.
– Heu ! Et où cela, mon bon monsieur ?
– Tu le verras bien. Marche !…
– Parce que, au cas où cet endroit ne serait pas celui que je pense, je pourrais vous indiquer ce dernier, et alors vous toucheriez, vingt sûrement, peut-être cinquante ou même cent écus : une fortune !
– Oh ! oh ! fit le sergent. Cent écus ! Ça, truand ! oserais-tu bien te jouer d’un sergent du Châtelet ?
– Répondez, vous verrez après si je plaisante.
– Soit ! Dis-moi où je devrais te conduire pour toucher cent écus ; je te dirai ensuite où je te conduis, moi.
– Au Louvre ! répondit laconiquement Bigorne.
– Au Louvre ? dit le sergent en éclatant de rire. Moi,
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