La Reine Sanglante
main. »
Les assistants écoutaient ces paroles, pâles d’épouvante.
Chez le roi, au contraire, ces menaces provoquaient une sourde colère prête à se déchaîner.
Sa fureur allait éclater. Il se leva comme pour jeter un ordre.
À ce moment, le roi d’Argot se mit à genoux. Louis Hutin s’arrêta, interdit.
Hans se prosterna, son front toucha le plancher.
« Sire, dit le roi d’Argot, il y a longtemps, bien longtemps, que je me suis juré à moi-même de ne jamais m’humilier devant personne au monde, fût-ce devant un prince tout-puissant comme vous l’êtes ! Le jour où je me suis juré cela, je me suis dit que la minute de ma première humiliation serait aussi celle de ma mort. Sire, je m’humilie devant vous. C’est donc le vœu d’un mourant que vous entendez.
– Parle ! fit Louis d’une voix dont il ne put dompter l’émotion.
– Sire, je ne menace pas. Sire, je supplie. Je vous prie humblement d’avoir pitié, non pas de nous, mais de votre ville de Paris, de votre seigneurie, de vous-même. Sire, un mot de vous, c’est la joie, l’apaisement, la concorde, que je n’aurai pas payées trop cher de ma mort. Jurez, Sire roi, jurez de respecter le sacré privilège de la Cour des Miracles, et vos serviteurs, vos amis vous sont rendus à l’instant… »
Le roi hésitait. Il n’y avait plus de colère en lui. Mais il redoutait l’humiliation d’un recul, l’aveu de la défaite.
« Sire ! cria le roi d’Argot, Dieu et le mendiant ont droit de refuge. Mais vous avez, vous, le droit de grâce. Faites grâce, Sire ! Et vous serez aussi grand que Dieu, et vous aurez vaincu par la clémence et la générosité…
– C’est donc à ma merci que tu fais appel ?
– Oui, Sire ! dit humblement le roi d’Argot.
– Et tu dis qu’en reconnaissance de ma royale clémence mes seigneurs seront libres ?
– Oui, Sire. »
Le roi se leva. Il leva la main.
« Je fais grâce, dit-il. Sur Notre-Dame et le Christ, je jure de maintenir le privilège de la confrérie des mendiants. Comte de Valois, donnez des ordres pour faire rentrer aussitôt nos troupes. Mais que des sentinelles et des patrouilles continuent à surveiller la Cour des Miracles. J’entends qu’aucun sergent ou archer du guet n’y puisse pénétrer pour saisir les criminels dont les noms ont été publiquement criés par nos hérauts. Mais j’entends que, si Buridan et ses acolytes sortent du domaine où s’exerce le droit de refuge, ils soient aussitôt saisis et livrés à notre official. »
Hans se releva.
« Sire, merci ! dit-il. Que les prisonniers soient tout à l’heure rendus à la liberté ! ajouta-t-il en se tournant vers le duc de Thunes. Que les barricades soient démolies ! Que tout rentre dans l’ancien ordre !… »
Louis et les assistants ne perdaient pas de vue le roi d’Argot. Le duc de Thunes sortit et se dirigea en hâte vers la Cour des Miracles. Hans tira alors le poignard qu’il portait à sa ceinture.
« Sire, dit-il, vous avez juré par Notre-Dame et le Christ de respecter nos privilèges. J’ai juré, moi, d’épargner un crime à la monarchie, une honte à Paris. C’est ici un pacte que nous faisons de roi à roi ! Je ne vous demande pas de le signer. Mais je signe, moi ! Et je signe avec mon sang… »
Dans le même instant, Hans se frappa à la poitrine.
La lame s’enfonça profondément. Il la laissa dans la plaie. Quelques secondes, il demeura debout. Mais son visage devenait d’une blancheur de cire.
Le roi et les assistants le considéraient avec une sorte de stupeur où il y avait peut-être de l’admiration. Hans murmura faiblement :
« Vous voyez pour la dernière fois la figure d’un homme libre qui ne s’est jamais humilié et qui meurt parce qu’il a juré, une fois pour toutes, de mourir au jour où il courberait la tête devant un homme fait à son image… Adieu, Sire, soyez heureux !… »
Il battit l’air de ses bras et tomba lourdement. Il était mort.
Le roi de France, lentement, se découvrit.
*
* *
Le lendemain, la Cour des Miracles avait repris son aspect habituel, sauf ce coin de la rue des Francs-Archers qui avait été démoli. Une nuit et un jour de travail acharné suffirent aux truands à faire disparaître toute trace de la bataille.
Le lendemain, disons-nous, il y eut grand conseil tenu entre Buridan, Bourrasque, Haudryot, Gautier et Lancelot.
Buridan avait promis de délivrer Philippe. Avant même
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