La Reine Sanglante
parvenu sur l’autre rive et bien qu’il fût fort pressé, il eût soin d’attacher l’esquif de façon que son propriétaire pût le retrouver le lendemain matin.
Puis il s’élança vers la rue Froidmantel, ne doutant nullement que Stragildo ne fût revenu à l’enclos aux lions et décidé à y pénétrer pour étrangler le gardien des fauves.
« Entrer, c’est bien. Et, saint Barnabé aidant, j’en trouverai le moyen. Mais ils sont là-dedans une quinzaine de valets obéissant à Stragildo aussi aveuglément qu’il obéit ou plutôt qu’il obéissait à la reine. Il faut donc que je puisse me trouver seul avec mon homme. Il faut donc que je me fasse un plan. Trouvons un plan… »
Et Bigorne, qui avait quelques heures devant lui, se mit à chercher un plan qui eût sans doute été une fort belle combinaison, mais il en était à peine à en tracer les premières lignes, que la porte de l’enclos s’ouvrit.
Un homme parut, qui portait une lanterne.
À la lueur de cette lanterne, Bigorne put voir que l’homme était vêtu comme un paysan des environs de Paris. Mais aussitôt il tressaillit.
Le paysan, c’était Stragildo !
« Je m’étais trompé, se dit Bigorne, ce n’est pas demain qu’il fuira, c’est tout de suite. Reste à savoir s’il s’en va avec une escorte. Mais que fait-il ?… Ah ! Ah ! Il va monter à cheval !… Diable !… »
Stragildo venait d’ouvrir entièrement un battant de la porte et de faire sortir, en effet, un cheval qui était sellé et bridé. De chaque côté de la selle étaient disposés deux sacs de moyenne taille.
Stragildo referma la porte.
Alors il éteignit la lanterne, et Bigorne, tirant son poignard s’apprêta à se ruer sur lui.
Mais il s’arrêta tout à coup.
« Tiens, tiens, pensa-t-il, il s’en va à pied, tirant le cheval par la bride. Bon ! Cela me permettra de l’occire un peu plus loin de la valetaille qui pourrait accourir au bruit de la lutte, si lutte il y a. »
Stragildo s’était mis en marche, un poignard au poing, tournant le dos au Louvre et se dirigeant vers la Halle et la friperie. Bigorne suivait à distance et ruminait en réprimant des tressaillements :
« Que peut-il y avoir dans ses outres ?… Hum !… Des légumes. Oui, puisque Stragildo est devenu un honnête manant. Mais ces légumes doivent avoir, lorsqu’on les choque, un son qui doit ressembler à celui de l’argent, ou je ne connais plus Stragildo !… Et si pourtant ce n’était pas de l’argent ?… Stragildo fuit ! Stragildo doit avoir quelque part un trésor. Non, il n’y a pas d’argent dans ces sacs, Stragildo les a pris pour aller les remplir… Il ne faut pas que je le tue tout de suite ! »
En même temps, Bigorne bondit en avant.
Stragildo entendit le bruit et se retourna en grondant :
« Qui va là ? »
Dans le même instant, il reçut sur le crâne un formidable coup de poing qui le fit chanceler. Stragildo leva son poignard en poussant un rugissement. Mais, presque aussitôt, il tomba sur les genoux. Le coup qu’il avait reçu l’avait à demi assommé. Le misérable, râlant, la rage et l’épouvante au cœur, ses yeux hagards cherchant dans l’ombre à quels ennemis il avait affaire, fit un suprême effort pour se relever. Un deuxième coup sur la tête l’étendit évanoui sur la chaussée.
Bigorne, sans perdre de temps, souleva Stragildo dans ses bras et parvint à le placer sur la selle entre les sacs ; il l’y cala, l’y attacha au moyen de sa ceinture de cuir, jeta sur lui son manteau et, saisissant la bride du cheval, se mit en route vers la Courtille-aux-Roses.
Il y arriva enfin, pénétra dans l’enclos, détacha Stragildo et l’étendit sur le sol.
« L’aurais-je tué ? pensa-t-il. Diable, comment savoir alors où est son trésor ? »
« Ohé, Guillaume ! Ohé, Riquet !… »
À la voix de Bigorne, les deux compères descendirent précipitamment.
« Oh ! grogna Guillaume, mais tu veux donc attirer le guet par ici, avec tes hurlements ?
– Tiens, c’est vrai ! fit Bigorne. Je n’y pensais plus. Mais c’est qu’aussi j’ai fait une bonne prise, qui va, je pense, dérider maître Buridan… »
Buridan, appelé, descendit avec le flambeau. Tout de suite, il vit Stragildo étendu sur le parquet et son regard flamboya.
« Mort ? demanda-t-il.
– Non, il râle, fit Bigorne. Il en reviendra.
– Tant mieux ! dit Buridan d’une voix sombre. Le misérable
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