La Reine Sanglante
ou plutôt, non… qu’on me l’amène tout à l’heure au Louvre… mais qu’on ait bien soin de ne lui faire subir aucun mauvais traitement. Je veux lui parler. Allez… Trencavel… »
Le capitaine se précipita pour exécuter les ordres du roi.
XXVIII
SPLENDEUR ET MISÈRE DE BIGORNE
Buridan, tout étourdi par la soudaine irruption des hommes de Trencavel, s’était laissé emmener sans résistance. D’ailleurs l’événement terrible qui venait de se passer paralysa pendant quelques minutes son énergie et sa volonté.
Mais, lorsqu’on fut presque au bas de la Tour, il regarda rapidement autour de lui et vit que six hommes seulement l’entouraient.
Le reste de la troupe avait été placé autour de la reine par Hugues de Trencavel.
« Bon ! se dit Buridan. Ils sont six. Nous sommes quatre, ou du moins, dans un instant, nous allons être quatre. Les chances sont égales. »
« Où me conduisez-vous, messieurs ?
– Au Temple, répondit l’un des gardes.
– Très bien ! Autant cette prison-là qu’une autre ! » fit gaiement Buridan.
Tous ensemble ils sortirent de la Tour, Buridan au milieu des gardes. À ce moment, il tira son poignard et, d’un geste foudroyant, en frappa l’archer qui se trouvait à sa droite. En même temps, il cria :
« À moi, Lancelot ! À moi ! Guillaume et Riquet…
– On y va ! répondit la voix de basse-taille de Bourrasque.
– Nous voici ! glapit Riquet. À nous ! À nous, compagnons ! Sus ! Sus au guet qui entraîne notre capitaine !… »
Et il est de fait que Bourrasque et Haudryot faisaient à eux deux un tel tintamarre qu’on pouvait croire à la présence de toute une compagnie de truands.
Les gardes de Buridan reculèrent en désordre, croyant à cette présence, et hurlant :
« Holà ! messire de Trencavel, à nous ! rébellion, rébellion ! »
Il y eut un choc. Dans la nuit, il était impossible de distinguer si les assaillants n’étaient pas en nombre. Dans le même instant, Buridan frappa un deuxième garde… un troisième tomba sous les coups de Bourrasque, et les gens du roi, se ruant dans l’intérieur de la tour, se barricadèrent.
Seulement, Buridan n’était plus parmi eux.
« En route », fit-il rapidement.
Tous les trois s’élancèrent vers la barque qui avait amené Marguerite de Bourgogne. En quelques instants, la barque vigoureusement poussée, commença à fendre les eaux du fleuve.
« Où est Bigorne ? demanda Buridan.
– Il nous rejoindra toujours à la Courtille-aux-Roses : il court après Stragildo.
– Stragildo ? fit Buridan qui tressaillit.
– Oui, dit Guillaume. C’est lui qui a prévenu le roi.
– Misérable ! gronda Buridan, s’il me tombe sous la main, son affaire sera réglée cette fois.
– Tu juges de nos transes, maître bachelier, reprit Riquet. Nous avons vu entrer le roi, puis une douzaine de mauvais bougres tout armés. Nous ne savions pas s’il fallait entrer ou attendre ! Entrer, c’était peut-être précipiter ton arrestation. Attendre, c’était peut-être te laisser tuer. Enfin, nous étions comme l’âne dont tu nous as parlé, excepté qu’il ne s’agissait ni de boire ni de manger, et nous allions tout de même entrer dans la tour lorsque tu es sorti escorté par les gardes comme un roi.
– Oui, reprit à son tour Guillaume. Nous étions comme ton âne, Buridan. Mais, comme dit Riquet, il ne s’agissait ni de boire ni de manger. J’ai faim, moi !
– J’ai soif », ajouta Riquet.
Buridan ne disait rien, en proie à un trouble inexprimable.
Quoi qu’il advînt de cette aventure, le père de Myrtille était perdu sans ressources. D’autre part, il songeait à Philippe et à Gautier et se rongeait les poings à se sentir aussi impuissant. Lorsqu’ils eurent abordé la rive droite, il prit lentement le chemin de la Courtille-aux-Roses, absorbé dans ses pensées.
Pendant que ces événements divers se passaient de la Tour de Nesle à la Courtille-aux-Roses, Lancelot Bigorne, comme on l’a vu, s’était jeté à la poursuite de Stragildo.
Lancelot Bigorne, ayant marché assez vite pour apercevoir Stragildo qui parlementait avec un garde à la lueur d’un falot, et l’avait très bien vu s’engager entre la double rangée des maisons du pont, redescendit sur la berge, choisit tranquillement une embarcation, brisa à coups de pavés le cadenas de la chaîne et passa le fleuve. Nous devons dire à sa décharge que,
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