La Reine Sanglante
la terreur et de l’horreur…
Buridan ramena son regard sur le roi et un frisson de pitié l’agita.
À ce moment, cette effrayante statue qu’était la reine commença à s’animer. Son visage crispé se détendit. Marguerite recula lentement… elle recula jusqu’à la porte…
Cette porte, elle la franchit.
Et elle commença à descendre l’escalier.
Un vague espoir la maintenait debout. Si le roi était mort !… Mort foudroyé par ces révélations qu’il avait surprises !… Elle pouvait vivre alors, vivre aussi puissante, plus heureuse, débarrassée du souci de dissimuler !
Marguerite descendait l’escalier en se disant ces choses. Ses dents claquaient. D’instant en instant, un frisson la secouait tout entière. Elle eût voulu courir, se hâter, et il lui semblait que ses jambes étaient de plomb. Une force terrible l’arrêtait à chaque marche. Elle portait sur les épaules le poids énorme de la catastrophe inouïe sous laquelle il fallait succomber, si le roi ne mourait pas !
Le roi était-il mort ?…
Buridan s’était agenouillé près de lui et avait posé la main sur son cœur.
Le cœur battait !
Faiblement, mais il battait !
« Pauvre roi, murmura Buridan qui ne put retenir quelques larmes. Pauvre jeune homme ! Dieu m’est témoin que cette menace faite à Marguerite, je n’eusse pu l’exécuter. Dieu m’est témoin que, si j’avais su le roi posté ici, je n’eusse pas parlé. Le mal est fait. Le roi sait tout. Il en mourra peut-être… L’aventure est affreuse… non pour Marguerite qui mérite la mort mais pour ce malheureux sire. »
Il se releva et chercha autour de lui s’il trouverait de l’eau.
Il en trouva dans une grande aiguière et se mit à humecter le front du roi qui bientôt poussa un soupir et bientôt ouvrit les yeux.
Buridan, agenouillé près de lui, doucement, mouillait ses tempes.
Le roi leva ses yeux désespérés vers ce jeune homme qui le soignait en pleurant :
« Courage, Sire, courage ! murmura Buridan. Je vous ai fait un mal atroce en parlant comme je l’ai fait, je le sais ! J’en suis désespéré, Sire ! Je donnerais dix ans de ma propre vie pour que vous n’ayez pas assisté à cette horrible conversation que j’ai eue avec… avec celle… que vous aimez… Allons, courage, mon cher Sire ! Cette femme, voyez-vous, n’était pas digne de vous. Jeune, beau, noble comme vous êtes, quelque belle et sage princesse vous consolera… À défaut, l’affection de tant d’hommes qui sont vos sujets… votre peuple, Sire !… Songez moins à celle qui sort d’ici et un peu plus à votre peuple… L’amour, l’amour, Sire, ce n’est pas tout dans la vie d’un homme. Et lorsque cet homme est un puissant roi, comme vous, peut-être a-t-il le devoir d’oublier ses souffrances pour songer à celles des autres. L’amour, Sire ! Nous en souffrons tous… Mais comment un fier chevalier comme vous, qui mérite d’être aimé par les plus belles, ne trouverait-il pas une consolation dans le monde ?… »
Le roi soupirait. Les sanglots s’amassaient dans sa poitrine, il s’abandonnait aux soins de Buridan. Il le regardait avec un étonnement qui déjà peut-être était un commencement de consolation.
Brusquement ses larmes jaillirent.
Ses sanglots éclatèrent, déchirants, terribles à entendre et Buridan murmura :
« Il pleure… Il est sauvé !… »
À ce moment, sept ou huit hommes entrèrent précipitamment.
« Arrêtez le rebelle qui ose porter les mains sur le roi ! » cria Hugues de Trencavel.
En un instant, Buridan fut entouré, saisi, poussé vers l’escalier…
Pendant ce temps, le capitaine des gardes relevait le roi et le faisait asseoir sur un fauteuil.
Le premier mot de Louis fut :
« Marguerite ?…
– Arrêtée, Sire selon vos ordres. Conduite au Louvre où on l’enfermera dans sa chambre pour y être gardée à vue. »
Le roi hocha la tête en signe que c’était bien.
Puis il retomba dans une sorte de stupeur morbide. Cet homme qui menaçait de tout démolir pour la moindre contrariété, qui avait des accès de fureur folle pour des riens, cet homme demeurait faible comme un enfant devant le malheur qui le frappait.
Il n’y avait plus de colère en lui, mais une infinie tristesse.
Lorsque Louis revint à lui, il demanda à Trencavel :
« Ce jeune homme ?…
– Buridan, Sire ?
– Oui. Qu’est-il devenu ?… Je veux qu’on le conduise au Temple…
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